Le droit de la mer offre une solution pacifique au litige gréco-turc

Le navire d’exploration turc Oruç Reis. Photo d’archives AFP
Le navire d’exploration turc Oruç Reis. Photo d’archives AFP

La Grèce et la Turquie se livrent à nouveau à un jeu dangereux sur l’île grecque de Kastellorizo, située à deux kilomètres des côtes turques. Si les deux pays sont depuis longtemps en désaccord sur l’île, le différend actuel concerne l’envoi dans cette zone, à plusieurs reprises depuis août dernier, d’un navire d’exploration d’hydrocarbures turc, l’Oruç Reis. Cependant, la récurrence de ces tensions découle en fin de compte de l’absence de traité sur les frontières maritimes entre les deux pays.Ce manque de clarté a contribué à des frictions pendant des décennies, et pas seulement sur l’île de Kastellorizo. En fait, les deux pays revendiquent des zones économiques exclusives (ZEE) qui se chevauchent de manière significative, rendant impossible tout projet qui viserait à exploiter pleinement les ressources sous-marines de la zone. Par conséquent, à moins que les deux pays ne soient pleinement préparés à résoudre leurs différends de manière pacifique, des crises comme celle que nous connaissons actuellement continueront de se produire, augmentant à chaque fois les risques de conflit ouvert.

Montée des tensions

Les enjeux ont crû significativement ces dernières années, principalement en raison de la découverte d’importants gisements d’hydrocarbures en plusieurs endroits de la Méditerranée orientale. Certains observateurs avertissent que les relations entre les deux pays sont à leur plus bas niveau depuis 1974, lorsque les forces turques ont envahi Chypre à la suite d’un coup d’État des Chypriotes grecs visant à unir l’île à la junte militaire alors en place à Athènes.

Au lieu d’engager un dialogue productif entre elles, Athènes et Ankara ont toutes deux mené des efforts diplomatiques parallèles visant à étayer leurs revendications maritimes respectives. Les Turcs ont signé un protocole d’accord sur les ZEE avec la Libye (17 novembre 2019), tandis que les Grecs ont signé un accord sur les ZEE avec l’Égypte (6 août 2020). Aucun de ces accords n’a cependant été ratifié, ce qui signifie qu’ils ne sont pas encore en vigueur. Même si une ratification a lieu, il reste à voir si ces accords seront déposés auprès de la Division des Nations unies pour les affaires maritimes et du droit de la mer (Doalos), à laquelle les États côtiers confient généralement leurs traités frontaliers pour une plus large diffusion. Par conséquent, si ces documents bilatéraux peuvent être utilisés pour réglementer les interactions entre leurs signataires respectifs, il reste à voir si et comment ils peuvent être conciliés avec les délimitations revendiquées par leurs autres voisins.

Pour toutes ces raisons, la nécessité de mettre fin à ces coups de poker périodiques devient chaque jour plus urgente. Comme pour souligner les dangers qui en découlent, le 12 août, un des navires de guerre turcs qui escortaient l’Oruç Reis a été impliqué dans une collision mineure avec une frégate grecque envoyée pour suivre le relevé.

Droit et technique

Cependant, en dépit de l’inimitié de longue date entre la Grèce et la Turquie, le droit offre aujourd’hui des moyens simples de résoudre leur différend. La Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM) établit un ensemble complet de règles pour la résolution juste et équitable de ces différends, et au fil du temps, ces règles sont devenues partie intégrante du droit international. Cela signifie que même les pays qui ne sont pas signataires de la CNUDM peuvent invoquer (et invoquent déjà) les principes de la convention dans toutes sortes d’interactions, notamment lors des procédures devant les tribunaux internationaux, les processus d’arbitrage et la diplomatie bilatérale et multilatérale. De plus, les récents progrès technologiques ont révolutionné la précision avec laquelle les zones litigieuses – sur terre ou en mer – peuvent être définies et délimitées.

Ensemble, le droit et la technique ont donc éliminé une grande partie des spéculations qui pouvaient exister – et donc une grande partie des risques – lors des négociations pour la résolution des différends maritimes. C’est cette approche que la Grèce et la Turquie doivent adopter pour promouvoir leurs intérêts respectifs tout en respectant l’obligation qui est la leur, en tant qu’États membres des Nations unies, de régler les différends de manière pacifique. Leurs divergences sont réelles et certains détails sont complexes, mais les principes de la CNUDM constituent une solution éprouvée, à tel point qu’ils ont joué un rôle central dans chacune des deux dernières douzaines de résolutions de différends maritimes par arbitrage, verdict d’un tribunal ou traité international.

Ces tensions ne disparaîtront pas, ni ne pourront être résolues, sans diplomatie et sans dialogue. Le statu quo est très instable, et aucune des parties ne peut imposer sa volonté à l’autre, du moins pas sans subir des pertes humaines et matérielles inacceptables.

Il est très probable qu’une demande de dialogue et de diplomatie trouve une oreille réceptive du côté de leurs partenaires internationaux. Les États-Unis et l’Union européenne ont en effet tous deux intérêt à éviter une plus grande instabilité en Méditerranée orientale, et les Nations unies ont investi beaucoup de temps et d’efforts dans plusieurs tentatives pour trouver une solution au volet chypriote du conflit gréco-turc.

Outre l’évolution de la technologie et celle des précédents juridiques qui permettent une solution basée sur la CNUDM, sans parler des avantages économiques que les deux pays pourraient tirer de la liberté d’exploiter librement leurs ressources, il y a une autre raison d’être optimiste quant à la réussite d’une poussée en faveur de la paix à l’heure actuelle.

L’heure ne devrait pas être aux discours enflammés et aux postures agressives. Les mécanismes pour une solution équitable sont à portée de main. La Grèce et la Turquie doivent s’engager dans un processus pacifique et défendre leurs positions jusqu’à ce qu’elles parviennent à un accord, et leurs alliés doivent les aider à le faire.

Par Roudi Baroudi, ancien secrétaire général du comité libanais au sein du Conseil mondial de l’énergie.

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *