Le droit international de la mer ne justifie aucunement le raid israélien

Le Temps: L’intervention israélienne en haute mer auprès d’une flottille d’aide humanitaire qui tentait de se rendre vers Gaza est-elle légale?

Marcelo Kohen: L’argument juridique israélien est le suivant: Israël est en état de conflit armé avec le Hamas. Dans ce cadre, il a le droit de décréter un blocus maritime par rapport à la bande de Gaza et d’empêcher des navires de le rompre. J’estime ces arguments infondés. Primo, il n’existe pas techniquement parlant un «état de conflit armé». Le Hamas n’est pas un Etat, il existe par ailleurs un cessez-le-feu et même les violations de celui-ci n’autorisent pas à parler de l’existence d’hostilités établissant un «état de guerre». Dans cette logique, on pourrait maintenir éternellement un blocus maritime, il suffirait que l’une des parties se considère toujours en «état de guerre». Secundo, même s’il y en avait un, un tel blocus maritime de caractère presque permanent serait contraire au droit international. Paradoxalement, le gouvernement israélien répète ici l’argument qu’il critiquait – à juste titre – avant la guerre des Six-Jours, face au blocus par l’Egypte du golfe d’Aqaba. Tertio, l’arrestation des navires turcs en haute mer est une violation grave à la liberté de navigation.

– Le blocus maritime est-il toutefois une pratique tolérée?

– Non, par sa résolution 3314 définissant l’agression, l’Assemblée générale des Nations unies l’a précisé. Parmi les situations définies dans la résolution comme des actes d’agression figure notamment le blocus des ports et des côtes.

– Le droit de la mer ne reconnaît-il pas un droit d’arrestation des navires en haute mer dans certaines circonstances?

– Nous sommes dans une situation très différente de celle reconnue à l’article 110 de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer. Il s’agit d’un droit de visite par un navire de guerre si l’Etat en question a de sérieuses raisons de soupçonner entre autres que le navire étranger se livre à la piraterie, au transport d’esclaves ou qu’il n’a pas de nationalité. Il permet au navire de guerre d’effectuer une inspection, mais en bonne et due forme, «avec tous les égards possibles». Dans le cas qui nous intéresse toutefois, nous ne sommes pas dans l’exercice du droit de visite. Israël a clairement dit que son objectif n’était pas de vérifier la cargaison du bateau, mais de l’empêcher d’accoster le long de la bande de Gaza.

– Chypre n’a apparemment pas accepté que la «Flottille de la liberté» se regroupe dans ses eaux territoriales. Certains avancent pourtant qu’elle avait un droit de passage inoffensif.

– Il existe un droit de passage inoffensif dans les eaux territoriales des Etats côtiers, mais un Etat peut suspendre temporairement ce droit, notamment pour des raisons de sécurité. Par ailleurs, les navires se livrant à ce droit de passage doivent respecter les réglementations de l’Etat côtier, ce qui, dans le cas présent, n’a apparemment pas été le cas.

– On parle aussi des eaux territoriales de Gaza. De quelle souveraineté relèvent-elles?

– C’est une mer territoriale de 12 miles marins qui fait partie intégrante du territoire palestinien. La souveraineté n’en incombe pas à Israël.

– Les Gazaouis ont-ils une zone économique exclusive de 200 miles prévue par le droit de la mer?

– Non, une telle zone doit être déclarée par l’Etat côtier et pour l’heure, il n’y a pas d’Etat palestinien qui a pu procéder à une telle déclaration.

– Le droit international de la mer est-il plus bafoué que d’autres droits?

– Non, hormis les récents épisodes de piraterie au large de la Somalie ou de l’Indonésie, il est globalement respecté. Mais ce genre d’intervention musclée en haute mer m’inquiète, tout comme la persistance du blocus maritime. Un Etat ne peut pas s’arroger un droit unilatéral de réglementer la navigation maritime internationale.

– La Convention de l’ONU sur le droit de la mer prévoit-elle des sanctions?
– Ni Israël ni la Turquie ne sont des Etats parties à la Convention. Mais les règles régissant la navigation en haute mer leur sont applicables. C’est du droit coutumier. Si la Turquie et Israël avaient ratifié ou adhéré à la Convention, un mécanisme obligatoire de règlement des différends aurait pu être suivi. Cela aurait pu passer par le Tribunal du droit de la mer à Hambourg, par la Cour internationale de justice ou par l’arbitrage. Malheureusement, ce ne sera pas le cas.

Marcelo Kohen, professeur de droit à l’IHEID de Genève.