Le grand retour du colonialisme

Le monde s’apprête à payer très cher la remise en cause des frontières et des traités internationaux par les régimes totalitaires russe et chinois, et par Israël, qui se jouent de leurs voisins depuis plusieurs années.

La Chine du Parti communiste, après avoir envahi le Tibet, ignore sans vergogne le droit de la mer, codifié à Genève en 1958, prétendant sans aucune justification et avec une arrogance inquiétante à des espaces marins immenses appartenant à des pays qui ne sont même pas ses riverains. La Russie, après s’être emparée de régions de la Géorgie en 2008 (l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud), a ensuite amputé l’Ukraine de la Crimée, et s’apprête à se tailler encore un quart supplémentaire du territoire de ce pays. L’Etat d’Israël, depuis 1967, illustre ce retour du colonialisme – et du droit du plus fort – en grignotant inexorablement des territoires attribués aux Palestiniens.

Pour leur défense, la Chine et la Russie peuvent prétendre que les guerres pour le contrôle des richesses minières et énergétiques des plus faibles ont été entamées au début de ce XXIe siècle par les Etats-Unis en Irak, sous de fausses justifications. Puis en Libye, par la France et les Etats-Unis, sans guère plus de raisons. Qu’enfin, à soutenir sans vergogne la politique colonisatrice d’Israël en Palestine, Washington ne peut plus donner la moindre leçon de morale ou de tempérance à qui que ce soit. Mais l’on voit bien ou cet engrenage mène le monde. Directement à la catastrophe.

Au Moyen-Orient, après les expéditions militaires occidentales en Irak et en Libye, Vladimir Poutine s’est mis au service de Bachar el-Assad, livrant au tyran syrien des quantités illimitées d’armements qui lui ont permis d’assassiner plus de 160 000 de ses concitoyens révoltés. De ce chaos, les fondamentalistes musulmans ont tiré la puissance qui les autorise aujourd’hui à faire trembler le Liban et les monarchies pétrolières du Golfe. Ils contraignent les Etats-Unis à réintervenir en Irak. L’incendie n’est pas près d’être éteint.

Pas davantage qu’en Israël, où l’Etat hébreu, s’étant doté d’une puissance de feu le mettant enfin à l’abri de ses voisins, joue désormais de cette force avec un cynisme qui avait éclaté au grand jour en 1982, juste après les massacres de Sabra et Chatila. La résolution 242 des Nations unies, en 1947, est foulée aux pieds par Benjamin Netanyahou depuis 1996, et Jérusalem est en passe d’être entièrement conquise par les Israéliens. Aucune pression américaine n’est venue à bout du colonialisme hébreu.

En Europe, c’est évidemment l’Ukraine qui pour l’heure est dépecée par Vladimir Poutine. En ancien apparatchik du KGB soviétique, le Rambo du Kremlin rêve de l’espace de son ex-puissance, et veut le restaurer, même si son pays, qui est une économie moyenne, n’a pas les moyens de ces ambitions. L’inquiétant n’est pas Vladimir Poutine, qui, face à un front déterminé européen, serait bien forcé de reculer. C’est l’Union européenne, incarnée désormais dans sa puissance par la seule Allemagne, car la France de François Hollande est inexistante aujourd’hui sur tous les fronts, et la Grande-Bretagne est paralysée par la faiblesse politique de David Cameron. Cette solitude d’Angela Merkel, alors que le pacte de l’«alliance atlantique» entre les Etats-Unis et l’Europe a été gravement fissuré par George W. Bush, puis complètement négligé par Barack Obama, explique la morgue d’un Vladimir Poutine certain de son impunité face à un Occident plus divisé qu’affaibli. Pour les Etats-Unis, bientôt exportateurs de gaz, les Européens ne sont plus que des clients. Et l’Europe, sans la Grande-Bretagne et la France, n’a plus de muscle.

C’est pourtant en Asie, face à une Chine qui, faute de ressources naturelles suffisantes pour assurer son développement, devient impérialiste, que la situation est la plus préoccupante. Entre le Japon et l’Empire du Milieu, les plaies profondes de la dernière guerre et de l’occupation japonaise n’ont jamais été guéries. Contrairement à la France et l’Allemagne mettant fin à leur guerre de cent ans après la fin du nazisme, il y a là une paix qui ne s’est pas faite. La spirale d’une course aux armements est lancée par Pékin (l’armée coûte entre 98 et 158 milliards de dollars par an à la Chine, selon les estimations), Tokyo s’efforçant de suivre le mouvement.

En Chine, la politique extérieure a toujours été tributaire des problèmes domestiques. Lorsqu’il s’agit de les faire oublier et de ressouder la nation, ou encore de faire plier l’armée aux desiderata des politiques, le gouvernement communiste envoie son armée contre ses voisins. Cela a été le cas contre l’Inde (1962), l’URSS (1969) et le Vietnam (1979). Pour détourner ensuite l’attention du peuple de la corruption des élites chinoises, le Parti communiste s’en est pris à Taïwan. Puis au Japon. Et maintenant que la Chine se prétend le «grand frère» de tous ses voisins, elle veut contrôler une mer de Chine qui s’étendrait du Japon à la Malaisie, en oblitérant au passage des eaux territoriales appartenant au Vietnam, aux Philippines, au Japon, revendiquées également par Brunei… Cette course en avant pour les richesses de l’océan est vitale pour la Chine: ses côtes, pillées par ses propres chalutiers, ne renferment plus rien, sinon des méduses. Le pays, assoiffé d’énergie, a besoin du pétrole et des minerais de tous ses voisins.

A court terme, encouragée par les initiatives de Vladimir Poutine, la Chine pourrait, après le Tibet, revendiquer et justifier elle aussi la reconquête de son empire historique. En envahissant par exemple la Mongolie voisine, follement riche en minéraux. Cela au nom de la restauration du grand Empire chinois qui fut taillé par… Gengis Khan. De la Crimée à la Mongolie peut-être, en passant par la Palestine et l’Ossétie du Sud, les guerres de colonisation reviennent, elles risquent de marquer notre siècle si nous n’y mettons pas immédiatement le holà.

François Hauter, écrivain.

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *