Le Green New Deal européen, une opportunité pour les territoires en déclin?

La nouvelle présidente de la Commission européenne vient d’être élue par le Parlement sur la promesse de mettre en œuvre un Green New Deal pour l’Europe. Ambitieux et attendu, ce plan vise à donner des gages aux forces politiques soutenant la conversion verte de l’économie. Mais celles-ci émanent majoritairement des grandes métropoles. Inversement, en Europe comme en Amérique, les territoires en déclin sont de plus en plus clairement acquis à une droite radicalisée. La stratégie de conversion verte de l’économie débattue dans l’urgence gagnerait donc à se voir davantage territorialisée. En effet, de part et d’autre de l’Atlantique, les tenants d’un Green New Deal ne semblent pas encore avoir réalisé qu’une fenêtre d’opportunité est ouverte pour faire d’une pierre deux coups : traiter la question environnementale et la question socioterritoriale, encore souvent envisagées, à tort, comme antagoniques. Pour ce faire, le soutien à la transition doit se doubler d’une mesure simple : la priorisation des futurs investissements publics sur les territoires en déclin. Ce pacte territorial vert adjoindrait la lutte contre les inégalités sociales et territoriales au combat contre la crise environnementale. Rappelons l’importance des enjeux : le Green New Deal annoncé la semaine dernière vise la neutralité carbone du continent d’ici à 2050. Les investissements projetés par la présidente conservatrice portent sur 1 000 milliards d’euros injectés en faveur du climat au cours de la prochaine décennie. En revanche, nul ne sait encore où ils seront distribués.

Forte aggravation de la fracture territoriale

Or, rappelons que dans les pays développés, la crise de 2008 a débouché sur une forte aggravation de la fracture territoriale. Alors que les métropoles ont pleinement tiré profit de la globalisation pour reprendre leur croissance, de nombreux territoires ont au contraire vu leur déclin s’accélérer. L’écart du prix du mètre carré entre Saint-Etienne et Paris a ainsi triplé en dix ans : de 1 à 4 en 2008, il est aujourd’hui de 1 à 12. Les campagnes en déprise, les villes hier frappées par la désindustrialisation et aujourd’hui par les réductions de la fonction publique, font clairement figure de grandes perdantes de la globalisation. De ce point de vue, la situation préoccupante de la diagonale du vide et du Nord-Est français, de l’ex-Allemagne de l’Est, du Nord anglais, des périphéries espagnoles et italiennes, ou encore de la Rust Belt nord-américaine, sont comparables. Dans ces territoires, tous les indicateurs sont au rouge : une dévitalisation continue de la base économique ; des problèmes d’accès aux services de base ; une paupérisation liée à la sélectivité des migrations (le départ des classes moyennes se voyant partiellement compensé par l’entrée de couches populaires exclues des territoires dynamiques) ; et enfin une décroissance démographique de plus en plus spectaculaire, qui contraste nettement avec la croissance soutenue des métropoles attractives. Enfin, ces territoires sont continuellement menacés par l’affaiblissement de la redistribution territoriale, sous l’effet de la généralisation des politiques d’austérité.

Il n’est donc pas surprenant d’observer que les territoires en déclin font figure de nouvel épicentre d’une contestation de la globalisation ainsi que des politiques publiques qui lui sont associées – lesquelles sont accusées de concentrer les investissements publics et privés dans une poignée de métropoles érigées en locomotives de la croissance nationale. Par ailleurs, force est de constater que bien loin de bénéficier à la gauche, dont ces territoires ont pourtant longtemps constitué des bastions, cette contestation nourrit au contraire la montée d’une droite radicalisée, protectionniste et identitaire. Donald Trump ne s’y est pas trompé, qui a axé sa campagne sur le basculement du Wisconsin, du Michigan ou encore de la Pennsylvanie. L’AfD allemande, solidement implantée dans l’ex-Allemagne de l’Est, ou encore le RN français, qui accroît constamment son emprise sur le Nord et l’Est, non plus.

Les politiques standardisées sont vouées à l'échec

Au-delà des accusations d’abandon, l’une des principales raisons de cette colère est que les politiques publiques n’ont jamais su s’adapter aux spécificités de ces territoires. Le diagnostic y a longtemps été erroné, et la réalité du déclin, passée sous silence. En conséquence, le remède préconisé, c’est-à-dire la simple duplication des stratégies des territoires dynamiques afin de viser le retour à la croissance, s’y avère largement inadapté. Les politiques standardisées qui y sont menées depuis désormais quarante ans sont dès lors vouées à l’échec : axées sur un improbable retour à l’attractivité, visant la montée en gamme et la gentrification (attraction des firmes de pointe, des cadres, des touristes et des étudiants, etc.), elles ne sont ni justes socialement – parce qu’elles ignorent les besoins des populations locales –, ni efficaces économiquement – parce que ces «bonnes recettes» lourdement subventionnées débouchent rarement sur le retour sur investissement escompté. Aux Etats-Unis, une vision libérale plaide désormais pour l’abandon pur et simple de ces territoires qui, après avoir payé un lourd tribut au décollage historique des pays développés (par la fourniture de main-d’œuvre dans les usines, par la dégradation environnementale liée aux activités industrielles), semblent devenus inutiles dans la nouvelle division internationale du travail.

Une telle position n’est pas seulement cynique : elle est dangereuse. L’action publique s’avère au contraire plus cruciale que jamais dans les territoires en déclin. Mais au lieu d’un énième saupoudrage axé sur l’embellissement physique, cache-misère de la vacance commerciale et résidentielle (voir le programme «Action cœur de ville» destiné aux villes moyennes françaises), il devient urgent de penser une véritable stratégie de redéveloppement adaptée aux spécificités, mais aussi aux atouts, des territoires en déclin. L’immense défi de la transition écologique peut à cet égard constituer une formidable opportunité pour lier justice territoriale, justice sociale et justice environnementale, sans pour autant nuire à la rentabilité des investissements publics. Pour ce faire, le Green New Deal, débattu au Canada, aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, et désormais annoncé en urgence dans l’Union européenne, devra identifier les menaces, mais aussi les opportunités, de l’extension du déclin territorial dans les pays développés.

Transformer les territoires en déclin en laboratoires de la transition écologique

C’est que si les grandes métropoles s’affichent aujourd’hui aux avant-postes dans la lutte contre la crise climatique, les territoires en déclin constituent également le lieu d’innovations écologiques. Encore faiblement relayées par les médias, ces initiatives restent cependant rares, et étroitement dépendantes d’un contexte local propice, comme à Vitry-le-François par exemple. Pourtant, à la différence des métropoles attractives, ces territoires détiennent un atout maître pour héberger les infrastructures de la transition promises par le Green New Deal (parcs solaires, fermes éoliennes etc.) : leur foncier abondant et accessible. Par exemple, dans les villes moyennes frappées par le déclin, la vacance des logements sociaux débouche actuellement sur des démolitions massives. Celles-ci libèrent des parcelles qui pourraient être réutilisées à des fins environnementales. Traiter simultanément ces deux enjeux cruciaux que sont la crise environnementale et la crise territoriale semble donc possible, à une condition simple : que les forces politiques progressistes «territorialisent» le projet annoncé par la présidente conservatrice de la Commission européenne, en plaidant pour une priorisation des futurs investissements publics du Green New Deal sur les territoires en déclin.

Mais la proposition ne s’arrête pas là : pour bénéficier réellement aux populations résidentes, une partie des revenus générés par les infrastructures vertes serait dans un second temps réinvestie dans des initiatives de redéveloppement au bénéfice direct des populations résidentes. Transformer les territoires en déclin en laboratoires d’une transition écologique génératrice de redistribution sociale, une idée utopique ? Elle est pourtant déjà en œuvre avec succès dans des territoires en déclin structurel, comme à Cleveland (Ohio) par exemple, où des coopératives de travailleurs des quartiers pauvres sont aujourd’hui en première ligne dans les initiatives environnementales de la ville. Dès lors, une priorisation claire des investissements massifs promis par le Green New Deal européen sur les territoires en déclin permettrait simplement de soutenir et généraliser ces initiatives. Elle permettrait par ailleurs d’ancrer l’idée européenne dans des territoires au sein desquels, face aux politiques d’austérité, le sentiment d’abandon conduit actuellement à un repli identitaire préoccupant.

Max Rousseau, chargé de recherche en science politique au CIRAD (UMR 5281 ART-Dev).

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