Le jeu cynique de l’Occident en Asie centrale

L’Occident et l’Asie centrale post-soviétique jouent un jeu intrigant. Alors que le premier aime à critiquer les dérives autoritaires des seconds, en réalité l’Occident fait tout pour se faire désirer, du moins économiquement. Les « programmes de développement » économique et les aides militaires et sécuritaires pour lutter contre le terrorisme continuent d’être déversés par l’Union européenne, la Suisse ou les Etats-Unis, qui cherchent à maintenir une influence dans une région de plus en plus convoitée. Du côté des régimes centre asiatiques, adopter des modèles politiques européens « à la carte » leur permet de développer un nationalisme mêlant soutien et contrôle de leur population.

Une illustration de cette relation symbiotique est la candidature du Kazakhstan à un siège non-permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. Son président, Noursoultan Nazarbaïev, fait de la lutte contre la prolifération nucléaire son porte-drapeau pour passer pour un bon élève auprès de la communauté internationale, tout en faisant oublier qu’il est au pouvoir depuis 1990 sans discontinuité, alors même qu’il déclare depuis ce temps construire une démocratie.

Le besoin de reconnaissance internationale est une constante des régimes autoritaires, de l’ex-leader libyen Mouammar Kadhafi plantant sa tente à Paris jusqu’à la soif d’organisations internationales des pays « en stan ». Les « marques » ONU, OSCE, ou Banque Mondiale font partie des attributs du pouvoir, et leurs représentations sont mentionnées presque chaque semaine par les agences de presse nationales. L’Asie centrale post-soviétique est effectivement très imbriquée dans de très nombreuses organisations internationales, qu’il s’agisse des pays les moins bien dotés de la région (Kirghizistan, Tadjikistan) en passant par les plus riches (Kazakhstan, Ouzbékistan) jusqu’au très fermé Turkménistan.

Or pour trouver la reconnaissance internationale, cette « image de marque », il faut se tourner vers l’Occident. Celui-là même qui sermonne de temps à autre les régimes pour leur autoritarisme, tout en les trouvant bien souvent utiles. L’Occident et ses banques, ses sociétés multinationales et autres conseillers en images, en placements financiers sûrs et discrets (comme au Panama ou en Suisse), sans oublier ses armes et autres technologies, qui permettent aux leaders centre asiatiques de mieux s’assurer du soutien de leur population.
Prendre le costume de l’Occident, mais pas les valeurs

A l’instar de la Chine ou de la Russie, la plupart des régimes d’Asie centrale pointent l’impossibilité d’une liberté d’expression et de la reconnaissance de droits humains telle que celles qui ont cours en Occident, au moins dans l’immédiat. Arguant du caractère différent de leur culture et de leur histoire, ils utilisent pourtant tous les codes du modèle étatique occidental – jusqu’au costume cravate – et ses avantages.

Ainsi, les Etats centre asiatiques prennent de l’Occident tout ce qui peut renforcer leur pouvoir, à commencer par le modèle d’Etat-nation, qui passe par un nationalisme de plus en plus exacerbé – comme le souligne l’ONG Freedom House. Avec l’appui de l’Europe, les pièces d’identité, devenues biométriques, ont vu leur qualité renforcée afin de mieux contrôler ceux qui passent des frontières de plus en plus génératrices de conflits dans la région car de plus en plus surveillées et restreintes.

Les systèmes de santé et d’éducation, après avoir été parmi les meilleurs au monde, tombent aujourd’hui en lambeau, faute de moyens. De plus, les repères idéologiques communs qui formaient les valeurs nationales sous l’URSS ont été remplacés par des idéologies sans grande profondeur, qui font ressortir l’idéologie soviétique.

En conséquence, la nostalgie de l’URSS prend de l’ampleur, nostalgie d’un temps ou chacun avait un emploi, accès à l’université, à un système de santé gratuit et une certaine stabilité pour aujourd’hui et demain. Le régime totalitaire offrait malgré tout des services de qualité à sa population. Vu le délabrement actuel, comment reprocher a ces populations de regretter une époque qui survit, embellit dans les mémoires ?

De même, comment faire croire à ces populations aux bienfaits des droits individuels, alors qu’ils voient la conséquence chez eux de régimes soutenus par l’Occident, se voulant et se montrant porteur de ces valeurs ? Alors que les élites centre asiatiques s’enrichissent au détriment de leurs populations, les dirigeants occidentaux sont reçus en grande pompe dans les capitales extravagantes du Kazakhstan, de l’Ouzbékistan ou du Turkménistan. Au moment où l’Occident soutient les régimes centre asiatiques de sa main gauche pour en obtenir ce qu’il souhaite, la main droite va venir dire à ces pays qu’ils violent les droits de l’homme et qu’ils ne sont pas démocratiques.

L’Occident semble ainsi avoir perdu l’opinion favorable des sociétés centre asiatiques à cause de son ambiguïté. Même le Kirghizistan, le pays le plus ouvert de la région, qui a vécu deux révolutions et qui dispose d’une société civile vibrante, parle de chantage au sujet des déclarations du département d’Etat américain sur les droits de l’homme en Asie centrale. Dans ce contexte, comment les peuples centre asiatiques peuvent-ils croire encore que les ONG des droits de l’homme leur veulent du bien, et ne sont pas une manipulation de plus ? Voilà le dilemme dans lequel l’Occident s’est enfermé, entre bonnes intentions de façade et réalisme politique non conscient de sa puissance ouvrant la porte à toutes les dérives incontrôlées.

Anatole Douaud et Artem Ismailov sont cofondateurs de Novastan.org, une fondation basée au Kirghizistan. Elle forme de jeunes centre asiatiques au journalisme et publie leurs articles en français et en allemand.

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