Le jeu dangereux de Vladimir Poutine en Syrie

La Russie revient en grandeur et en fanfare dans le jeu du Proche-Orient. Fidèle à la fois à son obsession anti-américaine et à son désir de rétablir la puissance russe dans le monde, Vladimir Poutine ne se contente plus de déployer des troupes au sol en Syrie, mais rêve de former une coalition internationale contre l’Etat islamique, concurrente à celle rassemblée derrière les Etats-Unis. Moscou a beau jeu de rappeler que son président s’est toujours élevé contre les révolutions, que ce soit à Tbilisi, à Kiev ou à Damas, alors qu’après les guerres illégitimes de George Bush, l’administration Obama s’est montrée largement désemparée face aux révolutions arabes. D’un côté le pragmatisme des «pouvoirs forts», de l’autre l’idéalisme des démocrates! Poutine a clairement vilipendé ces derniers de la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies en début de semaine, tandis qu’il cachait à peine sa confiance dans les tyrannies comme garantes inébranlables de la «stabilité» mondiale…

Dès le début des manifestations contre le président Bachar al Assad en 2011, Moscou a adopté une position de clair soutien au régime syrien: toute les esquisses de résolution du Conseil de sécurité des Nations unies un tant soit peu exigeantes rencontrèrent systématiquement le veto russe. L’Occident effarouché par la perspective d’être entraîné dans une nouvelle guerre au Proche-Orient laissa faire.

Toutes les «lignes rouges» ont été transgressées par Damas

Toutes les «lignes rouges» à ne pas franchir dans l’horreur qu’avaient énoncées Barack Obama ont été allègrement transgressées par Damas dans le sang et l’usage d’armes chimiques prohibées. Bachar al Assad, afin de sauver son pouvoir, engagea une stratégie à haut risque mais payante: internationaliser son problème interne - avec des administrés qui ne demandaient alors que de simples réformes politiques - en ouvrant largement les portes de son pays aux groupes les plus infréquentables de la nébuleuse djihadiste actifs en Irak. Le résultat aujourd’hui est là: face au danger que représente la barbarie de l’Etat islamique, des voix occidentales aussi autorisées qu’Angela Merkel ou David Cameron commencent à se ranger aux arguments de Vladimir Poutine et à vouloir reprendre langue avec Damas. La barbarie du régime syrien a pourtant peu à envier à celle de l’EI…

Le déploiement russe actuel semble viser trois objectifs. Il s’agit tout d’abord de rétablir la Russie comme grande puissance, capable d’agir en dehors de l’espace ex-soviétique, de laver l’affront jeté par Barack Obama qui avait qualifié la Russie de «puissance régionale». Les armes russes sont livrées au régime syrien, les instructeurs russes arrivent sur le terrain sans la moindre attention pour les récriminations internationales. Le pragmatisme de Vladimir Poutine et ses attaques féroces contre la politique américaine au Proche-Orient plaisent. L’invasion de l’Irak par George Bush et l’incapacité de tant d’administrations américaines à imposer un règlement au conflit israélo-palestinien donnent en effet une image désastreuse de la politique américaine dans la région.

Parier sur un homme dur

Il s’agit ensuite d’essayer, en dehors de la Russie, une stratégie éprouvée dans le Caucase: parier sur un homme dur que le sang n’effraie pas pour ramener la «stabilité», fût-ce au prix de l’instauration d’un règne de terreur. Dans le Nord-Caucase russe, le Kremlin a donné carte blanche au jeune président de Tchétchénie, Ramzan Kadyrov, pour mettre fin à la guerre dans sa république autonome. Dénoncé par les organisations de défense des droits de l’homme pour la violence de son régime, M. Kadyrov a transformé sa république en une propriété privée hors du droit russe. La guerre a disparu et la capitale Grozny a été reconstruite à grands renforts d’aide budgétaire de Moscou. Toute velléité d’opposition y est écrasée sans pitié. Mais après des années de guerre sanglante, les civils respirent un peu mieux en Tchétchénie.

La présence de troupes russes en Syrie servira enfin à «écouter» et «tracer» les djihadistes caucasiens ou d’Asie centrale qui combattent dans les rangs de l’Etat islamique et probablement à les détruire. Voir des combattants aguerris en Syrie rentrer avec armes et projets en Russie est un scénario catastrophe que le Kremlin tente de prévenir. Le savoir-faire et la détermination russes en la matière contribueront probablement à rallier quelques pragmatiques, y compris occidentaux. Le premier ministre israélien n’a d’ailleurs pas tardé à mettre en place un protocole d’échange d’information avec les Russes, traduisant bien en action la satisfaction israélienne d’un engagement direct en Syrie.

La stratégie est risquée. Derrière son irritation de façade face à ces gesticulations russes, il se pourrait bien que l’administration Obama soit fort encline à laisser Vladimir Poutine jouir seul en Syrie de son sentiment de grande puissance retrouvée. Et à lui permettre de s’y brûler les doigts…

Dufour Nicolas

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