Le Kurdistan irakien a besoin de grands amis, pas de grands propagandistes

Bien que le Kurdistan reste officiellement une partie de l’Irak jusqu’à aujourd’hui, cela fait un quart de siècle qu’il est une sorte d’Etat. Il dispose de son propre Parlement, d’un gouvernement et d’un président ; il possède un drapeau, un hymne national et ses propres jours fériés ; il a ses propres forces militaires, appareils de sécurité et forces de police.

Pareillement, le pétrole, au cœur de son économie, est produit et vendu de façon indépendante. Il a enfin des bureaux de représentation à l’étranger, qui furent librement utilisés sous l’ère post-Saddam Hussein.

Cependant, ce que la région ne connaît malheureusement pas, c’est exactement ce qui fait fanfaronner un groupe d’intellectuels européens : la démocratie.

Le système politique dans la région reste sultanique : les familles Barzani et Talabani, en particulier la première, monopolisent tous les pouvoirs dans la région. Elles détiennent le pouvoir depuis deux générations, et une troisième fraye actuellement son chemin. Leur position politique est liée à des réseaux de commerce régionaux et internationaux et à différents mécanismes illégaux d’accumulation de capital.

Un système non démocratique, corrompu et autoritaire

Ces familles disposent de leurs propres milices et de forces de sécurité. La majorité des médias dans la région sont soit directement leur propriété, soit indirectement financés par le pétrole. Puisque les deux familles contrôlent complètement ce secteur de l’économie, elles en utilisent les revenus pour acheter la loyauté de la population et pour opprimer les groupes d’opposition qui demandent un gouvernement plus transparent et responsable.

Le gouvernement régional affiche une dette étrangère (extérieure) estimée à 20 milliards de dollars (17 milliards d’euros), et la région dépend complètement des importations pour ses stocks alimentaires. En résumé, le régime politique au Kurdistan irakien ressemble à une imitation médiocre des monarchies autoritaires du Golfe, plutôt qu’à une copie de la démocratie israélienne, avec tous ses défauts.

Auparavant, les Kurdes étaient traités comme des citoyens de second rang par les Etats régionaux despotiques, mais maintenant, ils souffrent durement dans un système non démocratique, corrompu et autoritaire dans leur propre région.

On n’a pas besoin d’être un expert pour savoir tout ceci. Tous ceux qui ont lu les rapports d’Amnesty International, de Human Rights Watch et de Reporters sans frontières savent quel système politique sinistre y a été installé.

Vingt-six années de mensonges et de fausses promesses

Ce qui était le plus surprenant dans le référendum du 25 septembre était le grand nombre de personnes qui ont boycotté le scrutin (le taux d’abstention). Le pourcentage de votes enregistrés dans les régions de Germian et de Souleimaniyé n’a ainsi pas dépassé 50 %, et tout le monde n’a pas voté oui.

Pourtant, c’étaient ces territoires-là qui avaient été frappés le plus durement par l’opération « Anfal » sous le régime de Saddam Hussein dans les années 1980, lorsque la population locale fut attaquée aux armes chimiques. La conclusion qu’on peut tirer des résultats de cette consultation est que ces électeurs ont été déçus par les mensonges et les fausses promesses des dirigeants kurdes des vingt-six dernières années.

C’est une erreur historique et politique de comparer Israël avec la région kurde, comme certains en Europe le font. A part l’expérience du génocide, les questions juives et kurdes sont historiquement différentes et incomparables.

La cause kurde est le produit de politiques coloniales post-première guerre mondiale et de l’introduction de l’Etat-nation dans la région. Trois peuples furent les victimes de cette colonisation : les Arméniens ont été victimes d’un génocide, les Palestiniens ont perdu leur pays et les Kurdes sont devenus une minorité dans quatre Etats-nations.

Dans ce sens, il serait plus logique de comparer les Kurdes aux Arméniens et aux Palestiniens au lieu de les comparer aux juifs et à la création d’Israël. Une comparaison entre Kurdes et Israéliens dans leur relation aux Arabes et aux musulmans apparaît anhistorique et trompeuse.

Un « printemps kurde » écrasé par les milices

L’intervention d’intellectuels européens dans des causes au Moyen-Orient s’inscrit dans une tradition orientaliste de longue date. On se rappelle notamment de Michel Foucault, qui prenait la défense de Khomeyni en 1979.

Que l’on vienne maintenant tout d’un coup à la rescousse des Kurdes est peu crédible, en particulier aux yeux de ceux qui ont combattu pendant des années pour la démocratie au Kurdistan, et qui ont fait des sacrifices pour cela.

Où étaient les intellectuels européens quand, en février 2011, le « printemps kurde » bourgeonnant a été écrasé par les milices de Barzani et de Talabani, et quand les jeunes Kurdes friands de démocratie ont été tués et blessés par les membres armés du Parti démocratique du Kurdistan ? Où étaient-ils quand Barzani a fermé les portes du Parlement et a renvoyé les ministres du Mouvement Goran chez eux ? Où étaient-ils quand tous ces journalistes et représentants de médias indépendants ont été enlevés, torturés et tués ?

Les Kurdes ont besoin de grands amis, pas de grands propagandistes. Cela fait maintenant des années que toutes les forces démocratiques du Kurdistan demandent au président de mettre de l’ordre dans la maison kurde, de créer une infrastructure économique vivable, d’éradiquer la corruption, de créer une armée unifiée et impartiale et de céder son pouvoir en respectant l’application de la loi.

C’est la seule issue pour sortir du statu quo politique actuel, et éviter que le Kurdistan ne devienne une société épuisée et désaffectée, dont les plus jeunes générations essayent de s’échapper en partant à l’étranger.

Par Mariwan Kanie (intellectuel et politologue) et Aras Fatah (politologue, écrivain et chroniqueur).

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