Le libéralisme est un antidote à la crise morale de l’Europe

Après l’échec des totalitarismes du XXe siècle, il ne devrait pas faire de doute que les sociétés de droit et de liberté individuelle sont préférables à tout socialisme. La prospérité de l’Europe après-guerre est principalement due aux politiques libérales. Les pays émergents le sont grâce au libre marché, et si la Chine connaît aujourd’hui enfin le «Grand Bond en Avant» qu’elle avait rêvé dans les années 1950, elle ne le doit pas au collectivisme de Mao, mais bien au contraire à la rupture brutale avec le collectivisme que Deng Xiaoping a opérée dans les années 1980.

Certes, l’immense développement quantitatif récent du secteur financier pose des problèmes nouveaux. Quand les variations des prix des actifs financiers n’expriment plus les changements objectifs de l’environnement économique, mais sont de purs effets systémiques endogènes, des sortes d’échos que le système se renvoie à lui-même et qui créent des «bulles» et autres aberrations sans relation avec l’économie réelle, il est manifeste qu’on sort du cadre standard de l’auto-régulation du marché telle qu’elle avait été rigoureusement analysée par les économistes libéraux. De tels effets pervers systémiques entravent le jeu normal de l’économie et ils risquent de la rendre sous-optimale, ou même de la faire s’effondrer, comme on a pu le craindre aux heures les plus chaudes de la crise. Or on a l’impression que leur nature n’est pas encore parfaitement comprise intellectuellement par les économistes, qui ne savent donc pas très bien non plus quelles régulations simples et efficaces mettre en place pour les contrer. C’est là, à l’évidence, un chantier ouvert pour les théoriciens libéraux dans les prochaines années.

Au-delà de cette question financière, il reste que le monde mondialisé du XXIe siècle ne pourra prospérer, et même survivre, que si les Etats respectent les libertés des personnes privées comme des entreprises. Il y a à cela une raison imparable. Un monde mondialisé est encore plus complexe qu’une nation isolée. Si donc, déjà à l’échelle d’une nation, seuls des systèmes polycentrés permettent de gérer la complexité, c’est-à-dire de faire en sorte que toute l’information dispersée entre des millions d’acteurs soit utilisée de façon cohérente et socialement utile et que l’allocation des ressources soit donc optimisée, le même raisonnement vaut a fortiori à l’échelle de la planète. Et comme l’échange pacifique et fécond des biens suppose le respect scrupuleux de la propriété privée, du droit, de la liberté des contrats, de la liberté d’entreprendre, de la liberté de penser et d’innover, on peut dire que l’économie mondiale ne fonctionnera correctement que si ces libertés sont assurées dans le plus grand nombre possible de pays.

Or il y a à cet égard d’évidents dangers. Je ne parle pas des inconsolables de la chute du communisme qui, prenant prétexte de l’inégalité entre nord et sud et des problèmes d’environnement, prônent un gouvernement mondial doté de pouvoirs plus ou moins totalitaires. Je parle de l’anti-libéralisme plus «soft» qui caractérise aujourd’hui l’Union européenne et plusieurs de ses membres. On y professe en paroles la liberté et les droits de l’homme, mais on y promeut de plus en plus un modèle d’homme assisté, qui n’a ni intérêt ni possibilité de gérer lui-même sa vie. Par la fiscalité conçue non plus comme un moyen de faire cotiser chacun aux frais des services publics indispensables, mais comme un gigantesque système de redistribution arbitraire, par les politiques collectivistes de santé, de retraites, d’éducation qui ont été progressivement mises en place, on a créé en Europe une situation de paralysie et de déclin relatif par rapport à l’Amérique et à la nouvelle Asie.

Le plus grave est la crise morale engendrée par ces options sociétales. Sans liberté, il n’est pas de responsabilité, et sans responsabilité pas de dignité humaine. Quand chacun voit échapper le fruit de son travail et observe que les autres bénéficient d’avantages dont l’origine est purement politique, puisqu’ils ne les ont pas obtenus en rémunération de services rendus à autrui, mais grâce au fait qu’ils sont su attirer à eux – le plus souvent par la violence: grèves, manifestations, blocages de routes, pressions corporatistes, etc. – une manne publique résultant du pillage des contribuables au nom de la prétendue justice sociale, il est démoralisé. La confiance qu’il a dans ses semblables est minée en profondeur et, plus encore, celle qu’il pourrait avoir en lui-même.

Puisque la collectivité se met à tout moment en travers de son chemin, puisque, tout à la fois, elle le dispense de faire des efforts et ruine ses efforts, il n’y plus de sens pour lui à concevoir des projets. Il perd foi en la raison, devient fataliste, hypocrite et, souvent, tricheur. C’est pourquoi les hommes politiques qui sauront réaffirmer en Europe les valeurs de liberté n’y rétabliront pas seulement la prospérité et le dynamisme, mais l’humanisme qui est le sel de notre civilisation.

Philippe Nemo, professeur à l’ESCP Europe, école de management française.

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