Le maillon faible européen

Les décideurs économiques sont plus optimistes qu'il y a deux mois, notamment parce qu'ils sont convaincus que la Banque centrale européenne (BCE), sous la direction avisée de Mario Draghi, a éliminé les risques d'une implosion financière dans la zone euro.

Les écarts de taux ("spreads") des Credit default swaps (CDS) (permettant à un investisseur de se protéger contre le défaut d'un Etat), contractés par les banques espagnoles et italiennes, ont diminué depuis que la BCE a lancé en décembre 2011 ses opérations de refinancement à long terme sur trois ans. Les "spreads" entre les rendements sur la dette de plusieurs Etats et les Bunds allemands se sont aussi détendus. Mais cela ne signifie pas que la crise de la zone euro est terminée.

La dégradation des prévisions du Fonds monétaire international (FMI), publiées fin janvier, rappelle que les dangers sont loin d'être écartés. Le FMI prévoit désormais une année de récession dans la zone euro, avec une baisse globale de 0,5 % de son produit intérieur brut (PIB).

Le PIB national devrait aussi connaître une forte chute en Italie et en Espagne, et stagner en France et en Allemagne. Ce sera un environnement très difficile pour les pays qui cherchent à réduire leurs déficits budgétaires. Les prévisions concernant les autres pays à haut revenu sont elles aussi loin d'être satisfaisantes. Mais la zone euro demeure le maillon faible de l'économie mondiale.

IMPORTANTS DÉFICITS BUDGÉTAIRES

Ailleurs, les gouvernements des pays à haut revenu sont en mesure de soutenir leurs économies, notamment parce qu'ils disposent d'une banque centrale et d'un taux de change ajustable. Cette combinaison leur donne la possibilité d'enregistrer d'importants déficits budgétaires. Dans les circonstances d'après-crise, ces déficits sont à la fois la contrepartie naturelle et le principal facilitateur du nécessaire désendettement du secteur privé.

La zone euro ne dispose pas de tels mécanismes internes. Lorsque le financement extérieur privé s'est tari dans un certain nombre d'Etats membres, les pays touchés auraient eu besoin à la fois d'un financement - sur le court terme - et d'un mécanisme leur permettant d'ajuster - à long terme - leurs comptes extérieurs autrement qu'en subissant un fort ralentissement.

La zone euro ne disposant ni de l'un ni de l'autre, elle a montré qu'elle avait une capacité limitée à faire face à l'épidémie financière mondiale. Les observateurs les plus pertinents sentent bien que plane sur la zone euro l'ombre menaçante d'une vague de défauts souverains et bancaires, avec les répercussions mondiales terrifiantes que cela entraînerait.

La BCE a réduit le risque d'un effondrement immédiat du secteur bancaire. Mais ce que demandent les intervenants extérieurs, ce sont des pare-feu plus efficaces contre le risque que l'effondrement d'un pays comme, disons, la Grèce, suivi de sa sortie éventuelle de la zone, ne suscite un vent de panique à l'égard des perspectives de pays beaucoup plus importants.

Christine Lagarde, la directrice générale du FMI, a d'ailleurs fait de la mise en place de tels pare-feu l'un de ses trois impératifs - les deux autres étant une croissance renforcée et une intégration plus poussée - dans le courageux discours qu'elle a prononcé à Berlin le 23 janvier.

Ce que ces intervenants extérieurs veulent voir adopter, c'est l'engagement que les pays vulnérables de la zone euro puissent bénéficier du temps et des soins nécessaires à leur rétablissement. Bien entendu, ils veulent aussi que la zone euro s'engage à mobiliser des ressources qui prouvent la détermination de ses membres à obtenir ce résultat.

MÉDIOCRE CAPACITÉ À SE SOIGNER

Ce n'est qu'à ce moment-là qu'un FMI renforcé pourrait logiquement apporter sa propre contribution. Car au nom de quoi devrait-on attendre d'un pays comme la Chine qu'il participe au sauvetage d'une zone euro qui a montré une médiocre capacité à se soigner elle-même ?

Le problème, hélas, ne provient pas seulement d'un manque de volonté. Il procède aussi d'une absence de diagnostic correct. Et c'est là un problème auquel la BCE ne peut pas remédier. L'Allemagne, en tant que pays créditeur, s'oppose à une "union de transfert" et insiste sur le fait que l'essentiel est la discipline budgétaire. Elle a raison sur le premier point, mais se trompe sur le second.

Un transfert à long terme de ressources vers des membres non compétitifs de la zone serait un désastre qui affaiblirait les bénéficiaires et acculerait les contributeurs à la faillite. Mais le manque de discipline budgétaire n'explique pas tout. Tout comme l'indiscipline n'a pas été la cause principale de l'effondrement, de même la discipline budgétaire n'est pas le remède approprié.

Cette tentative de légitimer a posteriori l'austérité catastrophique instaurée par le chancelier allemand Heinrich Brüning entre 1930 et 1932 est terrifiante.

Il manque à la perspective incarnée par le pacte budgétaire la nécessaire compréhension du rapport de dépendance existant entre la production d'un pays donné de la zone euro et la demande dans les autres pays, du rôle des déséquilibres des balances des paiements et du fait que la compétitivité est toujours relative.

Si l'on veut que l'Italie et l'Espagne améliorent leur compétitivité au sein de la zone euro, alors l'Allemagne ou les Pays-Bas doivent accepter de réduire la leur.

EXCÉDENTS FINANCIERS STRUCTURELS DE LEUR SECTEUR PRIVÉ

Par ailleurs, si le secteur privé s'engage dans un excédent financier structurel pour diminuer sa dette, les décideurs seront en mesure d'éliminer les déficits budgétaires structurels si - et seulement si - le pays concerné enregistre un excédent structurel de ses comptes courants.

Les pays frappés par des crises financières présentent presque toujours d'importants excédents financiers structurels de leur secteur privé. Pour que ces pays résorbent leurs déficits budgétaires structurels, ils doivent eux aussi, comme l'Allemagne, enregistrer des excédents structurels de leurs comptes courants. Mais un seul pays ne peut enregistrer de tels excédents que si la zone euro dans son ensemble est excédentaire.

Pris séparément, les pays ne pourront jamais se rétablir sans compenser les changements intervenus ailleurs. Comme l'a déclaré Mme Lagarde à Berlin : "Sur le front budgétaire, procéder à des coupes généralisées dans l'ensemble du continent ne fera qu'attiser les tensions récessionnistes." Le resserrement budgétaire doit être sélectif.

Plus important, le signe que le processus d'ajustement fonctionne - rendant ainsi inutiles les transferts budgétaires à long terme que l'Allemagne, à juste titre, abhorre - serait l'émergence d'une forte demande au centre de la zone euro, avec une inflation bien supérieure à l'inflation moyenne dans la zone - soit l'inverse de ce qui se passait avant la crise.

Il faut à présent donner aux pays membres de la zone le temps et l'opportunité de s'ajuster. Des pare-feu solides devraient leur ménager du temps, mais seules des modifications de la compétitivité seraient à même de leur procurer une opportunité. Sans cela, la crise ne peut que frapper à nouveau (cette chronique est publiée en partenariat exclusif avec le "Financial Times". © FT. Traduit de l'anglais par Gilles Berton).

Par Martin Wolf, éditorialiste économique.

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