Le maire de Sevran : on ne peut pas « rejeter la faute de la radicalisation sur une seule commune »

Face à la radicalisation, il faut construire des dynamiques collectives, des rapports de force « populaires » qui impliquent y compris les médias. Globalement et localement, s’il n’y a pas de solidarité entre les acteurs de terrain, ceux de la sécurité publique et de la lutte contre la radicalisation, les résultats ne seront jamais à la hauteur des enjeux.

De ce point de vue, la stigmatisation dont la ville de Sevran est victime est scandaleuse et dangereuse. On vend au public de l’émotion et non de l’information. Comme si Sevran était une république autonome ! Comment peut-on rejeter la faute de la radicalisation sur une seule commune ? Il y a mieux à faire compte tenu de l’ampleur du problème et des actions à mener.

On cherche un bouc émissaire. On divise la société, on accuse. C’est le maire de Sevran ! C’est la Seine-Saint-Denis, trop de boucheries halal, trop de lieux de culte musulmans. C’est la spirale infernale. Alors qu’il faut combattre pied à pied pour éviter les affrontements ethniques, on met de l’huile sur le feu. C’est avec les musulmans eux-mêmes, comme l’a rappelé le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, que nous combattons la radicalisation. Nous refusons le ghetto, l’amalgame. Il faut travailler ensemble sur le plan local et national sans sectarisme.

La radicalisation est dans la vie de tous les jours

Depuis des années, les politiques ont perdu la confiance des parents, des jeunes. La défiance s’est installée, durable et profonde, et avec elle les vendeurs d’illusions, dont le salafisme est la partie la plus visible. Reconquérir le terrain perdu, c’est comprendre notre société, expliquer clairement qui est notre ennemi, afin d’éviter les amalgames qui nous conduisent inévitablement à la guerre du tous contre tous !

Les renseignements intérieurs occupent une place centrale dans ce combat, en lien avec les préfets et les maires. Il faut retrouver l’esprit et les moyens dont bénéficiaient les anciens RG. De quoi s’agit-il ? Aujourd’hui, la tête de l’Etat ne dispose plus d’informations et d’analyses qui permettent d’appréhender les situations politiques, sociales, économiques et religieuses dans nos territoires.

La radicalisation est dans la vie de tous les jours. Ce n’est pas un ovni, un groupe parachuté dans tel ou tel territoire, mais des habitants, en général jeunes, issus de tous milieux, qui changent de comportement, se radicalisent et agissent dans leur quartier, leur milieu, leur entourage proche. Mais quand je dis leur quartier, il faut comprendre que ce phénomène est aussi lié à la question des mégalopoles, de la concentration, de l’empilement de cultures qui, hier, étaient juxtaposées et s’ignoraient les unes les autres, et qui, aujourd’hui, existent dans un même espace urbain.

Les mégalopoles sont des espaces extrêmement complexes dans lesquels les individus ont besoin de se retrouver collectivement. C’est dans les interstices de ce besoin de communauté que se glisse le djihadisme pour faire des émules. Bien entendu, il n’y a pas que les phénomènes de concentration urbaine qui offrent un terrain de prédilection au recrutement terroriste.

Il y a la perte des points de repère, les fragilités psychologiques et familiales, la souffrance sociale mais aussi l’isolement qui doivent être pris en compte. Il faut donc relancer le travail des renseignements intérieurs « sur le terrain », afin d’appréhender la réalité de notre société. Pour cela, le législateur doit définir les missions et apporter les moyens nécessaires.

Renforcer l’action locale

Quelques pistes pour une action locale efficace. A l’exemple de la lutte contre les trafics de stupéfiants, il est nécessaire de placer un agent du renseignement intérieur (RI) en contact direct avec le préfet et les maires ou un représentant du maire clairement défini. En fonction des territoires, ce membre agent de RI pourrait suivre entre trois à dix communes. Ce policier serait chargé, par « notes blanches », sans mention de son origine, de remonter en direct au préfet les informations de terrain, qui sont ensuite transmises aux différents services spécialisés de police et de l’armée.

Nous pouvons créer des contrats locaux de déradicalisation et de lutte contre le terrorisme à partir de la coordination de l’ensemble des acteurs, dont ceux de la sécurité territoriale. Ces contrats ont trois objectifs concrets : réunir l’ensemble des partenaires concernés (police municipale, services et acteurs de la sécurité, administrations, éducation nationale, associations locales, syndicats, élus, représentants de l’Etat, représentants des différentes communautés religieuses, entreprises, commerces…) ; faire un diagnostic précis de la situation locale ; établir un plan d’action et trouver les ressources auprès de l’Etat, entre autres, pour le mettre en œuvre.

Renforcer l’action locale signifie également de poursuivre le travail de terrain mené par les associations en lien avec la puissance publique autour d’un vrai partenariat, avec un suivi de leurs actions par le maire (ou son représentant) et le préfet (sous-préfet ou délégué du préfet), pour leur apporter la reconnaissance et le soutien de la puissance publique.

Coordonner les actions de sensibilisation et de formations locales passe par des médiateurs, animateurs et autres acteurs de la collectivité locale intervenant dans les communes, mais aussi dans le monde associatif.

Favoriser le dialogue interreligieux

L’accompagnement des familles et des individus radicalisés doit continuer à se faire au niveau national via le ministère de l’intérieur. Psychologique et juridique, il faut une action centralisée qui permette aux familles d’être prises en charge dans le cadre d’un même programme national.

Il est par ailleurs nécessaire d’assurer le suivi de toutes les actions sociales ou culturelles qui participent à la lutte contre la radicalisation par un travail au plus près des habitants.

Le travail mené sur Sevran avec une association sur un projet d’institut théologique s’inscrit dans l’objectif de favoriser le dialogue interreligieux et les actions montées à plus large échelle que le niveau communal. Cette association a engagé un partenariat étroit avec l’Institut catholique de Paris pour organiser des cours de formation à la langue française des imams de Seine-Saint-Denis, comportant un atelier de culture générale, de découverte du patrimoine et des institutions de la République.

Mais tout cela n’émancipe en rien du travail des polices et de l’armée, des services de renseignement intérieur et extérieur, et de leur travail d’infiltration. Avant tout, nous menons une guerre contre l’organisation Etat islamique. Les attentats de Bruxelles viennent tragiquement de nous le rappeler.

Stéphane Gatignon est maire (Ecologistes !) de Sevran.

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