Le mariage pour tous et ses ennemis

En ce cinquième anniversaire de la promulgation de la loi n° 2013-404 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, et à quelques semaines du début des travaux parlementaires sur la révision des lois de bioéthique, une mise en perspective des enjeux politiques s’impose. Celle-ci est d’autant plus importante que, malgré un changement apparent, le même paradigme conservateur hostile au pacs et au mariage pour tous réapparaît sur la scène publique.

Tout d’abord, il ne faut pas oublier que l’objet de la controverse ne fut pas tant le mariage gay que sa principale conséquence : la filiation homoparentale. Il semble nécessaire de rappeler que la production d’arguments contre l’égalité des filiations homoparentales ne provenait pas de la droite réactionnaire mais plutôt de la gauche socialiste. Cette dernière essaye aujourd’hui de minimiser sa frilosité et de faire oublier le discours des experts conservateurs (qu’elle a systématiquement promus) non seulement en sous-estimant le rôle de la société civile mais aussi en désignant la Manif pour tous comme l’ennemi hégémonique. S’il est vrai que les socialistes ont fini par voter le pacs et ont élargi le droit au mariage pour les couples de même sexe, ces lois furent surtout le résultat du combat des militants LGBT et des recommandations des autorités européennes.

La crainte de l’indifférenciation des sexes, la panique morale manifestée par des mouvements réactionnaires tels que le Printemps français, les Veilleurs, Ecologie humaine, les Antigones ou l’Observatoire de la théorie du genre était la même que celle articulée d’une manière à peine plus rationnelle par les experts mobilisés par la gauche socialiste à la fin des années 90 et lors du mariage de Bègles célébré par Noël Mamère en 2004. L’invocation par ces experts des «invariants anthropologiques», du «sens commun», de «l’identité sexuée» et de «l’altérité sexuelle» ressemble de manière troublante à la stratégie discursive élaborée par le Vatican contre «l’idéologie du genre».

La rhétorique réactionnaire de gauche a ainsi décomplexé le discours homophobe de droite. La thèse de l’ordre symbolique de la différence des sexes, ou de la valence différentielle des sexes, mise en avant par l’expertise de gauche pour s’opposer à la filiation homoparentale, fut bien plus efficace que celle de l’ordre naturel des religions monothéistes. Si bien qu’en France, ni la Manif pour tous ni les Eglises n’ont utilisé aucun argument religieux, mais une rhétorique empruntée de la psychanalyse et de l’anthropologie selon laquelle la différence des sexes est à la fois une condition sine qua non de la parenté et le soubassement de la nature humaine (tel que cela fut martelé dans les rapports commandés par les différents gouvernements socialistes pendant quinze ans). Ceci explique non seulement le retard de la France en matière d’homoparentalité mais aussi l’installation d’une homophobie spécifique qui fait de l’hétérosexualité le «sens commun» de la filiation.

Ce familialisme «à la française», cette nouvelle orthodoxie parentale, cette forme d’universalisme hétéro-sexiste, constitue le principal frein à l’égalité. Face au «désordre» et à la «désintégration» provoqués par les revendications du «lobby homosexuel» (dénoncé par ces experts), le familialisme de gauche a articulé une «métaphysique républicaine» de la cohésion sociale et de la structuration psychique des individus fondée sur l’institutionnalisation de la différence sexuelle.

Cet ordonnancement réactionnaire du monde est antérieur à la Manif pour tous, celle-ci n’a nullement eu besoin de la Bible pour agencer son discours, les concepts produits par les conservateurs de gauche leur ont suffi. L’altérité sexuelle dans la filiation demeure leur valeur commune. Si bien que les deux conservatismes ne cessent de dénoncer comme mensongère toute filiation fondée sur la volonté ou sur le projet parental. C’est pourquoi, l’homoparentalité ne doit être pleinement reconnue qu’à condition de préserver la prééminence de l’hétérosexualité.

Et, pour ce faire, le familialisme de gauche propose de supprimer l’adoption plénière, de permettre l’accès aux origines génétiques, de mettre fin à l’anonymat des donneurs de gamètes, de reconnaître un statut spécifique pour ces derniers et d’abroger la loi sur l’accouchement «sous X», de telle sorte que la vérité de l’engendrement garantisse l’ordre symbolique de la différence des sexes.

Daniel Borrillo, juriste. Auteur de : la Famille par contrat. La construction politique de l’alliance et de la parenté, (PUF).

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