Le modèle chinois est fondamentalement défaillant et difficilement applicable aillleurs

Il semble que les dirigeants chinois aient oublié l’un des conseils de Deng Xiaoping : « tao guang yang hui » (« maintenez un profil bas »). En proclamant une « nouvelle ère », le président Xi Jinping a présenté le système de gouvernance de la Chine comme un modèle dont les autres pays devraient s’inspirer. Les chefs d’Etat « désireux d’accélérer le développement de leur pays, tout en préservant l’indépendance », doivent considérer la Chine comme « une nouvelle option », a déclaré M. Xi. L’agence de presse officielle Xinhua a même suggéré qu’à mesure du déclin des démocraties occidentales, la « démocratie chinoise éclairée » pouvait constituer une nouvelle voie d’avenir.

Le modèle de développement économique et politique de la Chine présente différentes caractéristiques parmi lesquelles une gouvernance autoritaire ancrée sur la recherche de la stabilité, une politique industrielle et une finance conduites par l’Etat, des investissements massifs dans les infrastructures, une industrialisation rurale fondée sur une agriculture à petite échelle, ainsi qu’une ouverture au commerce étranger et aux technologies. Ce modèle a incontestablement produit une croissance économique rapide ces trente dernières années.

Mais l’idée selon laquelle le premier de ces éléments – l’autoritarisme – serait nécessaire à un développement rapide est une erreur.

La démocratie permet d’apaiser les conflits

Les voisins de la Chine – Japon, Corée du Sud, Taïwan – ont atteint une forte croissance par le biais d’une politique industrielle étatique, de l’industrialisation du monde rural et de l’ouverture au commerce. Mais le Japon a atteint ces objectifs dans un cadre démocratique d’après-guerre, et la Corée du Sud et Taïwan connaissent la démocratie depuis trente ans. Le modèle autoritaire n’a pas été nécessaire à leur modernisation.

Certes, la démocratie est souvent conflictuelle, et peut s’avérer désespérément lente. Mais les processus délibératifs et électoraux qui la caractérisent permettent d’apaiser les conflits. En Chine, l’absence de débat public ouvert produit précisément l’inverse, comme l’illustre la mauvaise gestion des tensions ethniques avec les Tibétains et les Ouïghours.

En l’absence d’une société civile solide et d’une justice indépendante capables de contrôler le pouvoir de l’Etat, les dirigeants chinois ont, à maintes reprises, commis de graves erreurs, comme le Grand Bond en avant (1958-1960) ou la Révolution culturelle (1966-1976).

M. Xi a, lui aussi, commis des aberrations, par exemple en ordonnant aux entreprises d’Etat de soutenir le marché boursier, en chute libre en 2015. Lorsque les réserves de change détenues par la banque centrale ont cessé de secourir ces entreprises en grande difficulté, le marché est retombé au même niveau qu’avant l’intervention. Plusieurs centaines de milliards de dollars ont été gaspillées.

L’entrepreneuriat et l’innovation asphyxiés tôt ou tard

L’absence de garde-fous politiques contribue également aux abus de pouvoir et à une forte corruption, qui ont engendré de profondes inégalités et bien d’autres problèmes. La gestion économique chinoise souffre d’une forte opacité. Un contrôle très faible, voire inexistant, régit les investissements alimentés par la dette des entreprises d’Etat ou proches de la sphère politique. Dans la mesure où elle produit une mauvaise allocation des capitaux, cette défaillance demeure une source d’incertitude macroéconomique. Dans une économie de plus en plus complexe, l’inexistence de processus de gouvernance transparents, combinée à de fréquentes répressions contre la société civile, asphyxiera, tôt ou tard, l’entrepreneuriat et l’innovation. Les dépenses en recherche et développement sont – certes – élevées, mais elles concernent principalement le secteur public.

Le manque d’ouverture pourrait aussi affecter la stabilité politique du pays. Face aux crises, les dirigeants chinois ont tendance à surréagir en étouffant les dissidences. Bien que le leadership collectif et pragmatique des dernières décennies ait relativement bien géré les problèmes, la consolidation du pouvoir de Xi et le culte de la personnalité qui l’entoure risquent d’accentuer ce travers.

Contrairement au discours officiel, la plupart des caractéristiques du système dont Xi se fait le promoteur sont des vestiges de l’ex-empire ou des premiers gouvernements communistes : avancement fondé sur le mérite, loyauté hiérarchique verticale, centralisation politique associée à une décentralisation économique et administrative.

Malgré sa superbe, le modèle chinois est fondamentalement défaillant et difficilement applicable ailleurs. N’importe quel pays qui suivrait l’exemple de la Chine finirait tôt ou tard déçu. Non seulement la Chine est politiquement unique, mais elle dispose d’un marché domestique très vaste, qui lui permet d’attirer les investisseurs étrangers dans les filets de règles qu’elle est seule à dicter. Quoi qu’en dise l’actuel souverain de l’empire du Milieu, le développement à la chinoise n’est possible qu’en Chine.

Pranab Bardhan est professeur à l’Université de Californie de Berkeley. Traduit de l’anglais par Martin Morel  © Project Syndicate 1995–2018.

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *