Le modèle norvégien n’est pas une option pour Londres

Jusqu’à présent, l’impensable s’est produit deux fois : non seulement les Britanniques ont voté en faveur d’un départ de l’Union européenne (UE), mais leur vote a été mis de côté quant à l’ouverture des négociations d’un nouvel accord entre le Royaume-Uni et l’UE. Il faut savoir que, de façon assez paradoxale, ce nouvel accord pourrait être moins favorable aux intérêts britanniques que l’accord qui aurait gouverné les relations entre le Royaume-Uni et l’UE si le résultat du vote avait été favorable au maintien.

Malgré le résultat clair du référendum sur l’appartenance à l’UE, personne au Royaume-Uni ne semble prêt à transformer le résultat du vote en action en déclenchant la procédure de retrait prévue par les traités. Au beau milieu des premières conséquences économiques, financières et monétaires sévères du résultat du vote, il y a peu d’enthousiasme à poursuivre la sortie du Royaume-Uni de l’UE. Les déclarations publiques faites par les leaders du camp du « Leave » suggèrent plutôt que le camp du départ veut le maintien. La réalisation soudaine de ce que la vie post-Brexit pourrait impliquer pour leur pays – et la City, avec la perte des passeports européens pour les services financiers – les pousse à appeler à la négociation d’un nouvel accord avec l’UE.

Presque toutes les propositions circulant à l’heure actuelle manquent d’une compréhension de base des formes et des contenus que pourrait prendre ce nouvel accord. Tout d’abord, « pas de notification, pas de négociation », comme l’a dit le président Juncker devant le Parlement européen au moment du débat post-Brexit. Ce principe a été confirmé par le Conseil européen, dépourvu du Royaume-Uni, le 29 juin. En d’autres termes, à moins que le Royaume-Uni n’active la procédure prévue à l’article 50 du traité sur l’UE (TUE), entraînant in fine son départ de l’UE, Bruxelles et ses Etats membres n’ouvriront pas les négociations. En effet, même après le déclenchement de la procédure de retrait, il n’existe aucune obligation juridique pour l’UE « résiduelle » ni d’amender le traité en vertu de l’article 48 du TUE pour aménager les nouvelles demandes du Royaume-Uni, ni de signer un nouvel accord commercial avec le Royaume-Uni. Mais supposons que – comme le fait l’article 50 lui-même – le retrait du Royaume-Uni de l’UE entraînera la conclusion d’un « cadre pour sa relation future avec l’Union ».

Un modèle « allégé »

Une panoplie de modèles d’intégration économique a été évoquée jusqu’ici. Devrions-nous nous orienter vers le modèle norvégien, un modèle « allégé », le modèle de l’union douanière avec la Turquie ou bien vers des accords « bilatéraux », tels que ceux conclus avec la Suisse ? Même les accords commerciaux récents conclus avec le Canada et avec Singapour ont été évoqués comme des sources possibles d’inspiration.

La vérité est qu’il existe seulement un nombre très limité de modèles que le Royaume-Uni pourrait suivre. Parmi ceux-là, le seul qui pourrait rencontrer la demande des « brexiters » – bénéficier de l’accès au marché intérieur tout en n’étant pas membre de l’UE – est celui fourni par l’Espace économique européen (EEE), appelé « modèle norvégien ». Cet accord international, conclu en 1994, qui lie aujourd’hui l’UE – le Royaume-Uni inclus – et les membres de l’Association européenne de libre-échange (AELE) : l’Islande, le Liechtenstein et la Norvège, crée un marché intérieur pour les 31 pays concernés.

Le ticket pour entrer dans l’EEE est cependant coûteux. Premièrement, le Royaume-Uni serait conduit à devoir systématiquement accepter les législations européennes, sans avoir une chance de participer à leur élaboration. Deuxièmement, le Royaume-Uni devrait continuer à contribuer au budget européen – comme le font la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein. Troisièmement, le Royaume-Uni resterait sujet à la juridiction d’une cour supranationale, la Cour de l’AELE, qui, en vertu du principe d’homogénéité, est tenue de respecter la jurisprudence développée par la Cour de justice de l’UE. Un dernier élément, mais non des moindres : le Royaume-Uni devrait garantir non seulement la libre circulation des marchandises, des services et des capitaux, mais aussi celle des personnes, à travers les 31 Etats membres de l’EEE.

Marge de manoeuvre

Etant donné la considération plutôt négative envers la libre circulation des personnes avancée par le camp du « Leave », on peut se demander comment le Royaume-Uni sera capable de s’écarter de ces règles au sein de l’EEE. Alors qu’il est vrai que l’EEE – à la différence de l’UE – fournit une clause de sauvegarde permettant à ses membres de suspendre certaines obligations, la même clause permet aux autres parties d’user alors de rétorsion. Donc, si le Royaume-Uni devait suspendre la libre circulation des personnes, l’UE pourrait retirer les préférences tarifaires appliquées aux produits britanniques, tels que des voitures par exemple entrant dans l’Union, ou limiter l’accès au marché européen aux services financiers britanniques. Cela explique pourquoi on en appelle à un modèle norvégien « allégé ». Bien que largement non qualifié, ce nouvel accord, en renégociant le chapitre relatif à la libre circulation des personnes, conduirait à encourager la marge de manœuvre du Royaume-Uni au sein de l’EEE.

Paradoxalement, un tel modèle norvégien « allégé » représenterait un accord moins favorable aux Britanniques que celui négocié par David Cameron en février 2016. Alors que l’accord de renégociation de M. Cameron préservait un plein accès au marché intérieur et les droits de vote au sein des institutions, celui recherché par les « brexiters » libérerait le Royaume-Uni de la bureaucratie de Bruxelles et leur permettrait peut-être de « contrôler » partiellement la migration européenne. C’est le compromis qui dominera sans doute l’accord à venir entre le Royaume-Uni et l’UE : maintenir l’accès au marché intérieur tout en réduisant la libre circulation.

Comme le modèle norvégien ne rencontrera pas les demandes britanniques, l’accord de renégociation décroché par David Cameron en février dernier apparaît aujourd’hui comme étant une voie plus plausible pour gouverner les relations futures entre le Royaume-Uni et l’UE. Pourtant, c’était l’accord qui aurait dû être mis en place en cas de maintien dans l’Union. C’est sans surprise que personne ne semble prêt à l’expliquer aux 52 % de Britanniques ayant voté le départ de l’Union.

Alberto Alemanno, professeur de droit européen, titulaire de la Chaire Jean Monnet en droit de l’Union européenne HEC Paris.

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