Le "modèle turc" ne doit pas faire illusion

C'est avec les bouleversements géopolitiques du Moyen-Orient comme toile de fond que le président français, Nicolas Sarkozy, sera à Ankara, le vendredi 25 février. Il ne s'agit là que d'une visite de travail dans le cadre de la présidence française du G20, mais ses hôtes ne manqueront pas de faire valoir l'importance de la Turquie comme stabilisateur régional et donc l'intérêt de sa candidature à l'Union européenne.

Entre Asie et Europe, le Moyen-Orient demeure un "nœud gordien" et c'est à juste titre que les révoltes arabes suscitent l'inquiétude. Dans un tel contexte, la référence au "modèle turc" s'impose, et bien des regards se tournent vers Ankara. La chose n'est pas nouvelle et c'est avec continuité que les administrations américaines auront apporté leur appui à la Turquie. Dans le contexte présent, Ankara pourrait être l'élément moteur d'un triangle entre la Turquie, l'Irak post-Saddam et une "nouvelle Egypte", avec pour axe directeur la libéralisation du Moyen-Orient. Pour autant, le scénario optimal est parfois mis en échec. S'il faut développer une vision dynamique des situations, il serait erroné de s'installer dans le temps de la finalité accomplie.

L'idée même d'un "modèle turc" doit être questionnée. Fait-on référence au rôle historique des militaires et de l'establishment kémaliste dans la genèse de la Turquie moderne ? Ainsi, l'armée égyptienne aurait à jouer un rôle similaire dans une transition ordonnée et pacifique vers une démocratie de marché active et prospère. Compris de cette manière, le "modèle turc" pose problème. D'une part, le recours aux militaires comme force modernisatrice, selon une logique inspirée par le kémalisme, était celui du "socialisme arabe" et du panarabisme. On en connaît le triste bilan. D'autre part, cette "démocratie dirigée", sous tutelle de l'armée, s'efface aujourd'hui au profit d'une nouvelle Turquie emmenée par Recep Tayyip Erdogan et le Parti de la justice et du développement (AKP), présentés en Occident comme des "islamo-conservateurs".

Une realpolitik étroite

Ce syncrétisme entre islamisme, opportunisme politique et affairisme est un succès sur le plan électoral comme en termes de croissance. Encore faudrait-il que M. Erdogan résiste à la tentation de concentrer les pouvoirs entre ses mains et de "faire" dans l'islamo-populisme. Par ailleurs, la diplomatie moyen-orientale d'Ahmet Davutoglu, le ministre des affaires étrangères, est bousculée par les événements. Il s'agit plus de jouer dans les interstices du statu quo régional, pour accompagner la percée commerciale et l'expansion des séries télévisées turques, que d'anticiper l'avenir pour mettre en oeuvre une sorte de "néo-ottomanisme". La remise en cause des pouvoirs établis suscite beaucoup de prudence à Ankara, où l'on est conscient que la Turquie n'a pas les moyens politiques et économiques de rassembler les Etats de la région. Les populations arabes appellent-elles seulement un leadership turc ? On constate bien une certaine fascination pour ce Proche-Occident, mais cela ne va guère au-delà du consumérisme et du bashing contre Israël.

Il n'y a donc pas de puissance agissant par procuration pour l'Occident dans ce Grand Moyen-Orient dont les bouleversements auront des retombées sur différents plans. Si la prudence s'impose, les enjeux sont tels que les puissances occidentales ne sauraient s'abstraire de cette zone. Les portes d'accès doivent être maintenues ouvertes et les alliances renouvelées. Enfin, une realpolitik étroite réduisant la politique étrangère à un simple calcul d'intérêts, sans point de référence transcendant le politique, mènerait à prétendre maintenir un statu quo qui n'existe plus.

Les puissances occidentales doivent identifier les points d'équilibre entre valeurs, intérêts et responsabilités. Il leur faut déployer un art de la manoeuvre, accompagner les changements et se garder du syndrome de la "forteresse assiégée". La chose peut sembler difficile pour des pays vieillissants, bousculés sur le plan géoéconomique, dont les polyarchies électives sont cahotantes. Du moins pressent-on que le sinistre "consensus de Pékin", combinaison de verrouillage politique et d'ouverture économique sous contrôle, n'est pas une formule d'avenir. D'autres puissances scrutent avec plus d'anxiété les évolutions moyen-orientales.

Por Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur associé à l'Institut Thomas-More

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