Le monde politique vit un véritable séisme : c’est la fin des partis !

Si l’élection présidentielle française a passionné toute l’Europe, c’est que son issue était déterminante pour tout le continent. Avec la victoire d’Emmanuel Macron, la France vient d’interrompre la séquence Brexit-Trump tout en relançant l’intégration européenne. Mais cette élection consacre aussi la victoire en politique des mouvements sur les partis.

Il est en effet difficile, voire presque impossible, de penser que les partis politiques traditionnels, en France comme dans beaucoup d’autres pays européens, puissent continuer comme si de rien n’était.

Même en s’ouvrant à la participation la plus large, avec deux primaires très réussies sous tous les aspects, les grands partis, piliers de la VRépublique, sont eux aussi en train de vivre une première − une bien triste première −, celle de ne pas avoir été présents au second tour.

J’entends des voix se lever disant que les législatives vont remettre tout en ordre. Que les mouvements vont disparaître aussi rapidement qu’ils étaient apparus. Et que les partis vont reprendre la place qui est la leur. En vérité, j’avais entendu les mêmes voix dire que Macron n’était qu’un feu de paille ou que Trump n’allait pas résister un mois contre les appareils électoraux des deux partis américains. Que de coupable aveuglement, que de paresseuse inertie !

Non. Tout a vraiment changé. Et ce n’est pas qu’une question de vague qui passe et dont il faut seulement attendre la fin. J’ai vu cette même attitude en Italie où, depuis des années, les partis traditionnels ne font qu’attendre la disparition du Mouvement 5 étoiles sans travailler sur les raisons qui conduisent au succès de celui-ci et, en général, aux succès des formes politiques non traditionnelles.

Le monde politique vit un véritable séisme. Le rôle de l’Internet et des réseaux sociaux change la politique de l’intérieur. Il s’agit de phénomènes intenses, imprévisibles et soudains. On était habitué à étudier les systèmes politiques en sachant qu’il y avait des séquences et des conséquences. Qu’il y avait une certaine rationalité qui conduisait aux résultats obtenus. Les grands partis traditionnels étaient là pour gérer ces dynamiques très facilement prévisibles. Aujourd’hui, c’est le niveau d’intensité des phénomènes qui a changé, ainsi que leur imprévisibilité. Tout est rapide et nécessite une réactivité quasi immédiate, faute de quoi on se retrouve tout de suite hors jeu.

Conséquences structurelles du vote

Les mouvements ont une capacité de mobilisation qui, en termes d’enthousiasme, est sans comparaison possible avec les appareils des partis traditionnels. L’enthousiasme d’un militant ne se fabrique pas. Il est spontané ou il n’est pas. Les gens sont aujourd’hui habitués à juger une situation ou une politique avec une netteté sans précédent, grâce à la transparence dans laquelle nous vivons. Un militant transmet désormais immédiatement un message auquel il croit. Rien à voir avec l’inertie d’un appareil politique.

Les mouvements ont une agilité intrinsèque qui les aide dans cette période floue et complexe. Les partis traditionnels semblent au contraire perdus dans ces dynamiques qu’ils n’arrivent plus à comprendre et à gérer. La leçon de ce qui s’est passé durant cette campagne chez Les Républicains (le rôle de Sens commun est emblématique à cet égard) et les socialistes (bousculés d’un côté par En marche ! et de l’autre par La France insoumise) ne constitue pas une exception française. Toute l’Europe devrait l’analyser en profondeur.

Evidemment, le grand risque pour les mouvements est de s’en tenir à une approche superficielle de la politique. Le risque est réel de ne pas faire la distinction entre le vote et le « like ». Les expressions de nos faveurs sur les réseaux sociaux nous laissent toujours la possibilité de supprimer des amis ou des « followers », ou d’effacer un « like » si on change d’avis. Avec le vote, c’est différent. Le vote a des conséquences structurelles et de longue durée que le « like » ne peut pas avoir. J’ai vu des jeunes Britanniques pleurer à cause du Brexit, vingt-quatre heures après le vote, auquel ils n’avaient pas participé. Mais il était trop tard.

Politique non professionnelle

Il y a cependant un point fondamental qui milite en faveur des mouvements. La politique faite par les professionnels de la politique est en fin de course. Elle a eu un rôle éminent, même historique. Dans le passé. Aujourd’hui tout cela est révolu.

Les carrières et les cycles politiques, à cause de la vitesse et de l’intensité qu’Internet introduit dans nos vies, sont beaucoup plus courts que dans le passé. La carrière d’Emmanuel Macron en témoigne. Les gens n’accordent plus facilement leur confiance à quelqu’un qui n’a d’autre métier dans la vie que faire de la politique, qui connaît toutes les astuces de la vie des partis mais est déconnecté des problèmes quotidiens des citoyens.

Les mouvements ont un avenir parce qu’ils sont perçus comme porteurs d’une politique non professionnelle et de l’engagement citoyen. Je sais très bien que les partis sont aussi constitués de gens qui vivent la politique comme un authentique engagement citoyen. Mais c’est la perception des électeurs qui fait la différence. Et elle est aujourd’hui impitoyable.

Enrico Letta, Doyen de l'Ecole des affaires internationales de Sciences Po et ancien premier ministre italien de 2013 à 2014)

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