“Le Mythe” Bolsonaro peut se fracasser sur des réalités comme l’ampleur des déficits publics

Ce 1er janvier se déroule à Brasilia, capitale fédérale du Brésil, l’investiture de Jair Bolsonaro, qui a remporté l’élection présidentielle du 28 octobre 2018 avec 55,13 % des suffrages exprimés. De 1985 (le départ des militaires du pouvoir) à 2011 (la première intronisation de Dilma Rousseff), les cérémonies inaugurant un nouveau mandat de quatre ans avaient lieu dans une atmosphère sereine, voire festive, et étaient tenues pour les indices de la bonne santé de la démocratie brésilienne. Même si l’on se situait dans l’opposition, la confiance dans les institutions et le respect des règles démocratiques limitaient les inquiétudes.

Le climat actuel est tout autre. Pour les supporteurs de M. Bolsonaro, « le Mythe », ainsi qu’ils le surnomment, va rétablir l’ordre public dans les rues et l’ordre moral dans les foyers, en finir avec la « gabegie » et la « corruption » du Parti des travailleurs (PT), mener une guerre impitoyable aux « bandits » et à leurs complices, les défenseurs des droits humains, protéger les « citoyens du bien » contre les forces du mal et la mondialisation… Au contraire, du côté de ceux qui n’ont pas voté pour « Bozo », « Chose », « l’Innommable », « le Diable », on attend l’apocalypse dans l’angoisse.

Evangéliques et « évangélistes »

Ces sobriquets disent assez bien ce que l’on reproche à celui qui a été, pendant vingt-sept ans, un simple député. Au cours de ses nombreux mandats, M. Bolsonaro a été ce qu’on appelle au Brésil un membre du « bas clergé », un parlementaire sans œuvre législative, bénéficiant de tous les privilèges et petits arrangements inhérents à sa fonction.

Le capitaine de réserve se distinguait seulement des anonymes de la représentation nationale, bien avant l’émergence de Donald Trump, par ses outrances verbales, ses apologies répétées des pires tortionnaires de la dictature militaire, ses déclarations homophobes, sexistes et racistes, ses appels à l’élimination de la gauche et des « gauchos ». Comme beaucoup de politiciens du « bas clergé », la politique est, chez les Bolsonaro, une lucrative entreprise familiale que font également tourner ses trois fils, qui partagent les idées du père.

La première dame, Michelle de Paula Firmo Reinaldo Bolsonaro, est une évangélique très pratiquante, qui a demandé que la résidence présidentielle soit débarrassée des œuvres impies représentant des saints catholiques et des divinités afro-brésiliennes.

Autour du clan Bolsonaro gravitent deux courants qui aspirent à remodeler en profondeur la société brésilienne : l’extrême droite civile et militaire, et l’évangélisme politique. Certains évangéliques font en effet de leur religion une doctrine politique et peuvent être qualifiés d’« évangélistes », à la manière dont les tenants de l’islam politique sont des islamistes.

Tous les évangéliques brésiliens (un tiers de l’électorat) ne sont pas des évangélistes et sont loin d’avoir tous voté pour M. Bolsonaro, mais les évangélistes entendent tirer les bénéfices, à tous les sens du terme, de cette nouvelle ère. Si le président est catholique, ses accointances familiales et amicales avec les Eglises les plus conservatrices et leurs dignitaires sont notoires. Outre le contrôle de l’éducation, l’interdiction drastique de l’avortement en toutes circonstances, une croisade sans merci contre « la théorie » ou « l’idéologie du genre » au nom d’une vision pourtant très genrée de la société, les évangélistes veulent avoir les mains libres pour catéchiser les Amérindiens.

Opposition désunie

L’agenda des évangélistes est en grande partie conciliable avec l’extrême droite brésilienne, inspirée par le curieux et très influent astrologue et philosophe autoproclamé Olavo de Carvalho. Selon M. Carvalho et ses disciples, la chute du mur de Berlin a laissé intact le « marxisme culturel », qui a infiltré l’ensemble des « moyens de production culturelle » – la communication, le système éducatif, les universités… Favorisant ainsi les idées pernicieuses et destructrices du féminisme, des droits des minorités, de la protection de l’environnement, véhiculées par les organismes internationaux qui ont pénétré à l’intérieur même des familles et sapé les bases de la société.

C’est la thèse que défend le très bolsonariste mouvement Escola sem Partido (« l’école impartiale »), qui entend chasser les enseignants qui endoctrinent les enfants. L’objectif commun des évangélistes et de l’extrême droite brésilienne est de faire surgir une société unanimiste, d’où la dissidence « marxiste » serait bannie. Les engagements de Jair Bolsonaro à respecter la Constitution et les institutions seront-ils suffisants pour contenir les purges que les idéologues de son camp appellent de leurs vœux ?

C’est au Congrès national (le Parlement brésilien) que le gouvernement Bolsonaro risque de rencontrer les premières résistances, bien que l’opposition ne présente pas, pour l’instant, un front uni. Dans un Parlement fragmenté à l’extrême, les coalitions sont difficiles à réunir et à maintenir. Beaucoup de projets, comme la réforme des retraites, qu’attendent les milieux économiques promettent de longues batailles parlementaires.

Néolibéralisme annoncé

« Le Mythe », dont l’élection doit plus au vote protestataire qu’à l’adhésion, peut se fracasser sur les réalités comme l’ampleur des déficits publics et les rapports de force internationaux. Le président du Brésil ne peut s’offrir le luxe de la désinvolture du président des Etats-Unis. Si les résultats économiques tardent, le capitaine pourrait user prématurément son crédit politique. La cohésion du gouvernement pourrait s’y fissurer. Le néolibéralisme annoncé par le « superministre » de l’économie, Paulo Guedes, ne s’inscrit guère dans la tradition nationaliste des militaires brésiliens. L’institution militaire elle-même évitera de lier son sort à un gouvernement qui semblerait voué au désastre.

Il n’en reste pas moins que des secteurs entiers de la société brésilienne sont d’autant plus exposés qu’ils serviront de bouc émissaire. Sans doute la lutte contre la corruption continuera-t-elle à servir de prétexte à des purges politiques contre l’opposition. Les milieux intellectuel et culturel se préparent à une période de disette et de tracasseries, voire pire. Les Amérindiens sont la cible des spéculateurs et des missionnaires. Le nombre affolant d’homicides ne devrait guère régresser sous l’égide du capitaine Bolsonaro, qui promet d’amplifier la logique de « Far West » déjà en vigueur dans les campagnes et périphéries brésiliennes.

Armelle Enders, Historienne du Brésil contemporain. Il est professeure à l’université Paris-VIII-Vincennes-Saint-Denis et chercheuse à l’Institut d’histoire du temps présent.

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