Le nationalisme catalan contre l’Europe

Il ne manquait plus que cela : l’Europe sort à peine de la crise économique. Elle doit affronter une forte poussée populiste qui vient encore de marquer des points en Autriche, après l’avoir fait en Hongrie et en Pologne. Aucun pays du Vieux Continent n’est épargné par le phénomène, pays latins comme pays scandinaves, pays d’origine catholique comme pays protestants, pays prospères comme pays sinistrés. L’Allemagne n’y a pas échappé lors de ses récentes élections législatives. La vague d’immigration, originaire du Moyen-Orient et d’Afrique, entretient la xénophobie et l’intolérance. La négociation sur le Brexit s’avère aussi difficile et destructrice que prévue. Les projets de réforme de l’Union portés par Emmanuel Macron se heurtent aux intérêts particuliers des Etats, pour ne pas dire aux égoïsmes nationaux, et aux divergences idéologiques entre la France et l’Allemagne, lesquelles risquent de s’accentuer si le futur gouvernement Merkel confie le portefeuille de Schäuble à un ministre libéral. Une fois de plus, l’Europe vacille et s’enlise.

Et voilà qu’apparaît un nouveau péril qui s’ajoute aux difficultés actuelles, celui de l’indépendantisme catalan, c’est-à-dire l’émergence d’un micronationalisme. Il jouit déjà de sympathies en Flandre belge, en Ecosse, en Lombardie-Vénétie. Il s’appuie sur l’authentique soutien populaire de la moitié des Catalans. Il préfigure ce que pourrait être un puzzle européen : une addition d’impuissances, une collection de confettis antagonistes, le deuil de toute espérance de peser sur le plan international, de toute chance de parvenir à des politiques communes pour faire face à la puissance des Etats-Unis, de la Chine, demain de l’Inde ou du Brésil mais aussi des Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon). Si l’indépendantisme catalan l’emporte et crée un précédent, l’Europe se balkanisera irrémédiablement. Elle deviendra la confédération inerte de cantons sourcilleux.

Il ne s’agit évidemment pas de nier la réalité d’une forte personnalité catalane. Qu’il existe une langue catalane, une histoire catalane, une culture et une identité catalanes, bien sûr. Que le Parti populaire de Mariano Rajoy porte une lourde responsabilité dans la détérioration de la situation et dans l’impasse qui menace, c’est une autre évidence. C’est lui qui, en 2010, est parti en guerre contre l’accord d’autonomie renforcée qui venait d’être adoptée à Madrid comme à Barcelone. C’est lui qui, face à la montée du sentiment indépendantiste, a réagi avec brutalité et aveuglement. Au lieu de relancer le projet de réforme constitutionnelle envisagé et d’engager des négociations auxquelles étaient disposés plusieurs dirigeants catalans, il a choisi la politique de la menace et de l’autoritarisme. La violence s’abattant sur des manifestants pacifiques, la mise en œuvre maximaliste de l’article 155 ont ressemblé à une caricature de l’hégémonisme castillan. Pourquoi avoir emprisonné des dirigeants qu’il suffisait largement de placer en résidence surveillée ? Pourquoi n’avoir pas proposé, comme le faisaient les socialistes à Madrid, de reprendre la discussion sur la réforme constitutionnelle en fixant un échéancier et en prévoyant d’accorder aux Catalans la très large autonomie qui a été mise en place au Pays basque et en Navarre ? Les Catalans, contrairement aux Basques, n’avaient pas employé la violence et les pouvoirs locaux reconnus à Bilbao (haut lieu de la résistance au franquisme comme Barcelone) auraient offert une issue honorable. La droite espagnole a pratiqué la politique du pire.

Reste que la fuite en avant, au propre et au figuré, de Carles Puigdemont est une absurdité. Aucun Etat démocratique - l’Espagne est une démocratie qui vaut bien la nôtre - ne peut accepter d’être amputé d’une de ses composantes. La personnalité catalane, si elle disposait des privilèges basques, aurait la possibilité de s’épanouir largement, mieux qu’aucune autre province européenne, mieux que l’Ecosse ou la Flandre belge. L’argument fiscal si souvent mis en avant (la Catalogne donne plus à Madrid qu’elle ne reçoit) constitue la négation même de toute solidarité. Que dirait-on si l’Ile-de-France ou Auvergne-Rhône-Alpes refusaient de partager ses ressources avec les Hauts-de-France ou la Corse ? Contrairement aux chimères enseignées sur la télévision locale catalane, les conséquences économiques d’une rupture, loin d’assurer la prospérité l’éloigneraient inéluctablement. Quant à l’Europe, qui est une union d’Etats, comment pourrait-elle s’associer au démembrement d’une de ses composantes ? Il y a une nation espagnole et une catalane. Elles ne sont pas incompatibles mais complémentaires. Cela s’appelle «une nation de nations», «une fédération». Une solution beaucoup plus démocratique que la répression de Madrid ou la sécession de Barcelone. Un progrès pragmatique et non pas un affrontement stérile.

Alain Duhamel, journaliste politique et essayiste.

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *