Le néonazisme grec, une affaire européenne

Lors des élections législatives grecques de 2009, l'Aube dorée, un petit groupement politique appartenant à la mouvance nationaliste de l'extrême droite recueille tout juste 0,29% des suffrages. Il s'agit d'un non-événement. Quelques mois plus tard, lors des élections municipales de 2010, avec 5,29% des suffrages, le parti gagne un siège au conseil municipal d'Athènes. Les élections législatives de mai 2012 confirment la fulgurante ascension d'un groupe marginal devenu en quelques années un parti politique à prendre sérieusement en compte.

Lors des élections anticipées de juin 2012, après l'échec de la formation du gouvernement, l'Aube dorée obtient 6,92% des suffrages et 18 députés au Parlement grec. Les sondages placent maintenant ce parti en troisième position, lui attribuant des intentions de vote de l'ordre de 10-13%, derrière les conservateurs de la Nouvelle Démocratie et le parti de gauche radicale Syriza, qui se disputent la première place.

Sur le site de ce parti de type néonazi, on trouve des documents décrivant plutôt brièvement et de façon vague ses "positions politiques", conformes à l'idéologie du "nationalisme populaire". Rien de surprenant en première lecture : de conviction anti-libérale et anti-marxiste, le parti prône un patriotisme économique basé sur l'autarcie, avec comme allié principal la Russie. L'Aube dorée se différencie sur un point de la matrice dominante de l'extrême droite grecque traditionnelle (à savoir le fascisme de I.Metaxas entre 1936 à 1941 et des colonels de 1967 à 1974). Elle s'affirme, par ailleurs, de conviction farouchement anti-occidentaliste. En engageant une démarche de type complotiste, le parti se montre soucieux du sort de l'Hellénisme partout dans le monde.

Mercredi dernier, plusieurs centaines de militants du parti néonazi ont défilé dans les rues d'Athènes pour commémorer la chute de Constantinople et de l'empire byzantin le 29 mai 1453. Cet événement se déroule chaque année mais cette fois-ci, les militants ont symboliquement terminé leur marche au pied du Parlement grec - institution dans laquelle l'Aube dorée a fait son entrée pour la première fois en juin 2012. A vrai dire, l'âme du parti se trouve ailleurs, loin des déclarations de surface. La machine du parti déploie ses forces comme une toile d'araignée partout dans le pays. L'heure est à l'activisme politique et social dans une société qui se paupérise de façon dramatique. Les points de ressemblance avec les méthodes du parti nazi NSDAP (le parti national-socialiste des travailleurs allemands) à Weimar sont frappants.

Primo, le parti pratique le terrorisme urbain en s'attaquant aux populations minoritaires vulnérables (immigrés, homosexuels etc.). Ils ont à présent à leur actif des actes de violence qui se multiplient dans l'impunité la plus totale alors qu'ils relèvent indéniablement du droit pénal commun. Deuxio, le parti infiltre les communautés locales en engageant de façon systématique des actions "sociales" dans les domaines de l'aide alimentaire, de la santé, de la sécurité et de l'éducation. Là où l'Etat grec est mis à mal, les membres de l'Aube dorée entament d'énergiques campagnes de propagande "humanitaire" prônant la solidarité discriminatoire. Un exemple récent est la "soupe populaire raciste" à l'occasion de la Pâque orthodoxe à laquelle le maire d'Athènes s'est farouchement opposé. Tertio, le parti instaure et banalise une sous-culture politique de violence verbale et gestuelle dans la sphère publique nationale, au mépris des codes communs de civilité et des normes démocratiques élémentaires. En témoignent les "Heil Hitler" proférés en plein Parlement grec, lors de la session du 17 mai.

La menace que constitue la montée d'un parti nazi en Grèce est à la fois banalisée à l'intérieur du pays et sous-estimée à l'extérieur. Banalisée car en dénonçant la montée des extrêmes, les trois partis membres de l'actuel gouvernement - mais aussi un large nombre de commentateurs et d'hommes des medias - mettent dans le même panier du "populisme", ce parti néonazi assumé et le parti de gauche radicale Syriza. Cette dérive sémantique est symptomatique de notre époque. On fait semblant d'oublier que le populisme s'infiltre partout et sans distinction dans l'espace du discours politique via ses formes diverses (populisme de marché, populisme patrimonial, populisme anti-européen etc.). En réduisant l'Aube dorée à sa coloration populiste, on esquive la dangerosité de l'idéologie qu'elle véhicule. Face à cette banalisation et relativisation du nazisme, il suffit de regarder la divergence des profils sociologiques entre les électorats de l'Aube dorée et de Syriza pour se convaincre du fossé idéologique et politique entre ces deux partis.

La radicalisation de la droite traditionnelle constitue une autre forme de banalisation. Pour reprendre à nouveau l'analogie avec Weimar, le parti de la Nouvelle Démocratie vit à tout moment sous la menace d'être mis en minorité par ses alliés de coalition gouvernementale. Il tente alors de faire revenir une partie de l'électorat conservateur par la mise en place de politiques ultra-nationalistes. En témoignent la révocation de la loi de 2010 sur la politique des naturalisations ou la proposition, in fine mise en minorité, d'exclusion des grecs naturalisés des services de police et des écoles militaires. Le gel provisoire du nouveau projet de loi contre le racisme et la xénophobie, en raison des problèmes constitutionnels, ne doit pas nous faire oublier que les lois antiracistes actuellement en vigueur, ne sont toujours pas appliquées.

Comme pour la crise de la dette, la tentation est grande de faire de cette poussée nazie un mal strictement circonscrit à la Grèce. On a tort. L'Aube dorée multiplie les contacts et développe des coopérations avec des partis affiliés des pays de l'Europe, comme le parti néonazi britannique (EDL), le mouvement nationaliste italien Forza Nuova, le parti national-démocrate allemand (NDP), ou encore le mouvement néofasciste roumain Noua Dreapta. L'objectif est la constitution progressive d'une alliance pan-européenne. Mais ses ambitions globales ne s'arrêtent pas là. Le parti, insatiable, essaie d'accélérer son emprise en misant sur la diaspora grecque. De l'Allemagne, jusqu'aux Etats-Unis, le Canada ou l'Australie, des antennes de l'Aube dorée sont déjà ouvertes.

Entre temps, l'Europe continue à travailler pour améliorer ses technostructures en espérant qu'elle va mieux gérer les effets de la globalisation économique, peu soucieuse des ramifications d'une autre globalisation, cette fois-ci politique : la progression de l'extrême droite globalisée.

Par Filippa Chatzistavrou, avocate, politologue, enseignante à l'université d'Athènes.

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