Le Népal aux cent ethnies cherche sa voie vers un Etat plus juste

Niché entre l’Inde et la Chine, le Népal figure sur la carte mentale de la plupart d’entre nous comme le pays de l’Himalaya et de l’Everest. Lors d’une recherche images sur Google, on aperçoit rarement autre chose que des photos de montagnes de contes de fées, des vertes rizières surplombant des lacs bleus immaculés, et des temples avec des enfants au sourire éclatant.

Autant le dire, notre imaginaire du Népal est colonisé par un rêve de nature, et nous avons du mal à penser à ce pays en d’autres termes. Ce qui est dommage, car ces temps-ci, le Népal passe par des transformations et des convulsions sociales importantes. La complexité politique népalaise nuance un peu le tableau du sous-continent dominé par ses deux voisins géants.

Lors d’un récent voyage de recherche documentaire entrepris à Katmandou, j’ai appris que les Népalais, des hommes politiques jusqu’aux simples civils, perçoivent la Suisse comme le modèle politique le plus inspirant dans leur quête d’une forme étatique rendant justice à leur diversité et à leur grande multiplicité ethnique. Cette admiration, les Suisses la rendent bien au Népalais, puisque cela fait plus de 50 ans que la Suisse participe à des programmes de développement et d’échanges.

Bien qu’il ait formellement réchappé à la colonisation britannique, le Népal ressent fortement l’influence de l’héritage colonial à travers l’immixtion de l’Inde dans ses affaires intérieures. Par exemple, la grande voisine fait pression sur l’Assemblée constituante (formée en 2008) pour qu’elle accouche d’une Constitution, qui devait d’ailleurs être promulguée au plus tard le 22 janvier, mais sans résultat pour l’instant. L’Inde souhaite aussi intégrer des territoires montagneux du Népal dans sa stratégie géopolitique défensive. A cela s’ajoute la difficulté de maintenir un équilibre fragile avec la Chine, voisine du Népal à travers le Tibet, territoire historiquement au centre de toutes les convoitises. On comprend ainsi pourquoi les Népalais se sentent des affinités avec la Suisse, au centre d’une Europe occidentale longtemps mouvante et remuante.

La situation complexe à l’extérieur trouve son pendant dans la vie politique intérieure. Contrairement à l’Inde et la Chine, qui semblent avoir atteint un point d’équilibre, au moins pour le moment, dans la forme de leur Etat, le Népal est à la recherche, depuis bien d’années, d’une république plus juste et d’une Constitution.

C’est là où résident sa richesse politique et son apport au sous-continent. Car après dix ans de guerre civile entre les forces maoïstes et l’armée régulière (1996-2006), puis encore presque dix de processus de paix, le Népal et les Népalais osent se poser et débattre de questions complexes: après l’abolition de la monarchie fin 2007, quel type de république mettre à sa place? Comment parvenir à respecter les droits de chacun des plus de 90 groupes ethniques et faire en sorte que les femmes poursuivent leur émancipation citoyenne, pour laquelle la bataille a commencé au Népal il y a plus d’un siècle?

Diverses forces politiques apportent diverses réponses, les unes centralisatrices, d’autres proposant un fédéralisme qui protégerait des communautés longtemps discriminées. La difficulté de répondre à ces questions dans une charte contribue aux fortes tensions de ces derniers jours – des chaises ont volé dans la salle de l’Assemblée constituante –, et témoignent d’irréconciliables contradictions. Parallèlement, d’immenses grèves, lancées à l’initiative du Parti communiste uni (maoïste), qui revendique un plus grand nombre de districts administratifs et des réformes sociales plus radicales, bloquent le pays entier.

En ces temps de crise économique globale, le souci qui prime au sein de ces interrogations, c’est d’articuler un système politique capable de redresser les graves inégalités sociales et économiques, qui furent longtemps ancrées dans les arrangements socioculturels (en particulier le système des castes), jusqu’à mener le Népal dans un grave conflit. Cette inquiétude est loin d’être confinée au seul Népal. Après tout, le nouveau premier ministre grec Alexis Tsipras, issu de la gauche radicale, tout comme le leader du mouvement espagnol Podemos, n’hésitent pas à parler de «castes» à démanteler et à combattre. Dans ce sens, les débats au Népal s’inscrivent dans une actualité immédiate.

Le voyageur arrivé dans la bruyante Katmandou, escale obligée avant les montagnes paradisiaques, reste stupéfait par les travaux d’Hercule entrepris par les autorités pour réorganiser la ville. Des rues élargies, encore en attente d’être pavées, sont couvertes de monceaux de terre excavée; un trafic routier qui fonctionne miraculeusement avec un minimum de feux; des zébus paisibles au milieu d’un concert permanent de klaxons, tels sont les reflets physiques d’un pays en plein chantier. Heureusement, les Népalais cheminant vers leur nouvel Etat savent aussi trouver de l’inspiration dans leurs paysages et mènent leurs batailles avec une certaine majesté.

Par Ruxandra Stoicescu, chercheuse et animatrice d’un blog radio, Tales of the World.

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