Le nouveau «parti de l’étranger»

Le nouveau parti de l’étranger

Pendant la guerre froide, la vie politique de l’Europe de l’Ouest était une arène de rivalité entre l’URSS et les Etats-Unis. Chaque supergrand cherchait à assurer son influence en soutenant politiquement et financièrement des partis politiques opposés. Les Soviétiques pouvaient compter sur le relais des partis communistes, particulièrement puissants en France et en Italie. De son côté, la CIA finançait partis, journaux et syndicats anticommunistes. Les élections italiennes étaient l’occasion de surenchères entre Russes et Américains pour le financement des campagnes de leurs alliés. Cette situation était désolante pour les Européens, qui voyaient leurs élections manipulées par des puissances étrangères. Cependant, par leurs influences contraires, l’URSS et les Etats-Unis se neutralisaient mutuellement.

Aujourd’hui, la guerre froide est terminée, mais paradoxalement la position de l’Europe est peut-être plus inquiétante qu’elle ne l’était à l’époque. Depuis l’élection de Trump, les pouvoirs en place à Washington comme à Moscou ne soutiennent plus qu’un seul camp dans la vie politique européenne : l’extrême droite. Depuis plusieurs années déjà, le président Poutine a entrepris de former en Europe un réseau de partis d’extrême droite pro-russes. Ces partis, allant des Grecs d’Aube dorée aux Français du FN, en passant par les Italiens de la Ligue du Nord, voient régulièrement leurs dirigeants invités à Moscou, s’alignent sur les positions internationales de la Russie que ce soit sur l’Ukraine ou sur la Syrie, et plaident en faveur d’une alliance de leur pays avec la Russie.

Le fait que le FN ait bénéficié en 2014 d’un prêt de 9 millions d’euros auprès d’une banque proche du Kremlin laisse à penser que, sans reproduire les liens organiques de l’Internationale communiste, ce réseau transnational peut s’appuyer sur le soutien financier de Moscou. Plus récemment, c’est le parti d’extrême droite autrichien, le FPÖ, qui a signé un accord de coopération avec le parti Russie unie de Poutine.

De l’autre côté de l’Atlantique, la nouvelle administration, qui se met en place après l’élection de Trump à la Maison Blanche, ne cache pas non plus sa sympathie pour l’extrême droite européenne. Pendant sa campagne, le candidat républicain a pris parti pour le Brexit, affichant sa proximité avec le leader de l’Ukip, Nigel Farage. Peu après sa victoire, son directeur de campagne et conseiller stratégique, Steve Bannon, a exprimé son intention de développer son réseau médiatique en France et fait part de son admiration pour les Le Pen. Marion Maréchal-Le Pen, par ailleurs habituée aux voyages à Moscou, s’est empressée de répondre qu’elle était désireuse de travailler avec le bras droit du président des Etats-Unis. Dans l’histoire de France, l’expression de «parti de l’étranger» a été utilisée aussi bien pour reprocher au Parti communiste son inféodation à Moscou que, sous la plume de Jacques Chirac dans son «appel de Cochin» de 1978, pour accuser le président Giscard d’Estaing de diluer la France dans une Europe sous influence américaine.

L’axe qui se dessine entre Poutine, Trump et l’extrême droite européenne fait émerger une nouvelle génération de parti de l’étranger. Cette fois, plus d’équilibre, de contrepoids, toutes les forces sont alignées pour œuvrer à la déstabilisation des démocraties européennes et au démantèlement de l’Union européenne.

Coincés entre une Russie autocratique et une Amérique ploutocratique qui soutiennent les forces les plus réactionnaires, les Européens doivent admettre qu’ils ne peuvent plus compter que sur eux-mêmes. En 1964, le général de Gaulle défendait déjà cette thèse : «Une Europe européenne signifie qu’elle existe par elle-même et pour elle-même, autrement dit qu’au milieu du monde, elle ait sa propre politique.» Dans le contexte de la guerre froide, ce projet était voué à rester lettre morte car les partenaires européens de la France considéraient que leur sécurité était indissociable de la protection américaine. Alors que les Etats-Unis se détournent de plus en plus de l’Europe au profit de l’Asie et que le président Trump affirme ne voir dans l’Otan qu’un fardeau financier, c’est l’atlantisme qui n’est aujourd’hui plus une option réaliste. D’un autre côté, le projet «Eurasiatique» de Poutine ne vise qu’à diviser l’Europe pour mieux la placer sous la domination d’un nouvel empire russe. Les Européens devraient saisir l’occasion de ce défi historique sans précédent pour bâtir enfin une défense européenne indépendante, mutualisant les moyens des armées nationales, et capables de porter sur la scène mondiale une voix qui leur soit propre. Si l’extrême droite nationaliste a embrassé le parti de l’étranger, le vrai patriotisme réside dans la défense d’une Europe unie et indépendante.

Pierre Haroche, enseignant en études européennes, King’s College London

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