Le nouvel eldorado birman

Depuis plusieurs mois les délégations officielles se succèdent en Birmanie, et le flot de visiteurs ne tarit pas. Officiellement, il s'agit d'encourager l'élan de réforme politique initié par le nouveau gouvernement 'civil', présidé par l'ex-Général Thein Sein. Pour autant, évaluer l'ampleur des avancées démocratiques n'est pas l'unique objectif des diplomaties occidentales. Le potentiel économique de la Birmanie attise depuis longtemps les convoitises, et les signaux d'ouverture envoyés par le pays depuis l'an dernier laissent présager de nouvelles perspectives, en particulier celles de voir les sanctions internationales levées et l'arrivée des investisseurs européens et américains.

En Birmanie, pays de soixante millions d'habitants chroniquement sous-développé, tout est à construire : infrastructures, réseaux de télécommunications, secteur bancaire. En parallèle, le pays dispose de ressources naturelles abondantes (bois, minerais, gaz naturel), d'un fort potentiel agricole et touristique, d'un réseau dense de fleuves et de rivières, ainsi qu'un accès direct à l'océan indien. Jusqu'à présent, peu de multinationales ont franchi le pas d'investir et de s'installer en Birmanie. Cette retenue ne peut être uniquement attribuée aux sanctions économiques européennes, qui sont loin de l'embargo souvent décrit, et les considérations d'ordre moral ou éthique ne justifient pas à elles seules la timidité des investisseurs occidentaux. L'absence de règles juridiques et d'une justice indépendante, des règles opaques qui changent du jour au lendemain, un système confus de plusieurs taux de change et un contrôle des changes très strict, le manque de transparence et de responsabilité financière, la saisie arbitraire de biens alors que des contrats étaient signés... Ces facteurs ont concouru à faire de la Birmanie un terrain d'investissement risqué.

Les gages d'ouverture politique donnés par Thein Sein ont changé la donne. Les délégations venues d'Europe n'hésitent plus désormais à jouer les VRP pour promouvoir les intérêts économiques de leurs pays. Le mélange des genres est parfois singulier, à l'image du commissaire européen au développement, Andris Piebalgs, dont le mandat est de coordonner l'aide au développement de l'UE, qui s'inquiète ouvertement des tergiversations des pays européens sur le maintien ou non des sanctions, "qui placent nos entreprises dans une position défavorable. Ce pays dispose d'un potentiel de croissance important, mais nos entreprises vont être extrêmement prudentes et je crains que nous ne perdions du temps, alors que les investissements directs pourraient faire la différence".

Le gouvernement de Thein Sein ne s'y est pas trompé, et a annoncé il y a quelques jours plusieurs mesures pour favoriser l'investissement étranger : exonération fiscale de cinq ans, possibilité d'investir sans partenaire local, facilités pour la création de joint-ventures, et baux de longue durée pour la location de terrains. Des mesures séduisantes pour la communauté des affaires, mais qui ne peuvent résoudre à elles seules les profonds problèmes structurels que connaît la Birmanie. En février 2012, Sean Turnell, économiste australien spécialiste de l'économie birmane, indiquait à Info-Birmanie que "sur le terrain économique, de fait, très peu de réformes concrètes ont été entreprises. Certes, il y a eu des réductions de taxes à l'export, une certaine libéralisation des licences d'importation, quelques autorisations ont été accordées aux banques privées d'utiliser des devises étrangères dans leurs transactions commerciales, et de nombreuses discussions ont lieu sur la réforme du taux de change. Mais rien ou très peu n'a fondamentalement changé pour l'instant."

L'ouverture économique telle qu'elle a été conduite par les militaires au cours des deux dernières décennies a en premier lieu renforcé les privilèges économiques de l'armée et a offert de confortables rentes de situation à quelques nantis et proches du régime, s'appuyant sur un système de prédation et de corruption. Dans un contexte où le capitalisme de connivence est roi, les inquiétudes quant à la manière dont les investissements étrangers s'opéreront sont de plus en plus fortes. Concentrés dans le secteur stratégique des ressources naturelles (énergie, industries extractives, bois), les investissements ont jusqu'à présent échoué à contribuer au développement du pays, qui continue d'occuper le bas des classements dans les indices de développement humain et social. Plus de vingt projets de barrages hydroélectriques de grande envergure sont en cours de construction à travers le pays, et une quarantaine de blocs pétroliers et gaziers sont en phase d'exploration. Tous ces projets ont en commun d'être financés et construits par des pays voisins (principalement la Chine et la Thaïlande) et l'énergie produite sera intégralement exportée vers ces mêmes pays, alors qu'environ 50% de la population de Birmanie n'a pas accès à l'électricité.

Le mécontentement populaire grandit contre les projets de grande envergure menés aux quatre coins du pays par les voisins asiatiques. Ces investissements n'ont généré que peu d'emplois, tout en imposant aux populations locales un fardeau social et environnemental considérable, du fait des dommages sur l'environnement et des graves violations des droits de l'homme qu'ils engendrent. Ces faits sont reconnus par l'envoyé spécial des Nations unies, M. Quintana, qui déclarait lors de son audition devant le conseil des droits de l'Homme le 12 mars dernier qu' "étant donné la vague de privatisations l'an dernier, l'augmentation attendue des investissements étrangers et l'ambition du gouvernement d'accélérer le développement économique, il est à craindre un accroissement des confiscations de terres, des déplacements forcés et diverses violations des droits économiques, sociaux et culturels". Les actions collectives initiées par la société civile et les activistes birmans œuvrant dans les domaines du respect de l'environnement et des droits de l'homme se multiplient pour obtenir la suspension de projets jugés dommageables, comme le projet Shwe Gas (construction d'un oléoduc et d'un gazoduc traversant la Birmanie à destination de la Chine). Ces organisations peuvent se targuer de deux succès récents : la suspension du projet de barrage Myitsone sur la rivière Irrawaddy, et du projet de centrale électrique à charbon à Dawei. Bien que les considérations sociales ou écologiques ne soient pas l'unique raison ayant motivé la suspension de ces projets, leur mise en stand-by renforce la légitimité des revendications des activistes birmans.

En parallèle, la publication fin mars par un collectif d'organisations birmanes d'une 'charte de bonne conduite' comprenant les mesures essentielles à respecter pour un investissement responsable en Birmanie démontre le pragmatisme de ces ONG, qui souhaitent une approche 'gagnant-gagnant' entre les investisseurs et le peuple birman. Une optique partagée par Aung San Suu Kyi qui a mis l'accent sur la nécessité de transparence et de redevabilité des investissements étrangers. La leader de l'opposition souligne que ces investissements doivent bénéficier à la population birmane, notamment en favorisant la création d'emplois et le respect de l'environnement.

Pour autant, ces recommandations résonneront comme un vœu pieu tant que le gouvernement birman ne mettra en place de cadre juridique stable permettant l'émergence d'un véritable Etat de droit, seule précondition à même de permettre le bon fonctionnement d'une économie ouverte.

L'UE ne saurait être crédible dans son rôle de soutien à la transition en Birmanie si elle n'accompagne pas la levée des sanctions économiques d'exigences fermes sur la mise en œuvre de mesures de transparence financière, de juste répartition des revenus, de concertation et de participation de la population, et d'études d'impact environnemental. En avril prochain, lorsque les ministres des affaires étrangères de l'UE réviseront la décision commune européenne à l'égard de la Birmanie, ils devront faire passer l'avenir de la population birmane avant celui de leurs entreprises.

Enfin, les entreprises occidentales auront aussi un rôle de première importance à jouer, pourvu qu'elles n'abandonnent pas leurs engagements de responsabilité sociale aux portes de Rangoon.

Isabelle Dubuis, coordinatrice d'Info Birmanie.

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