Le nouvel impôt sur les bonus ne modifie pas la prise de risques

L’annonce par Gordon Brownd’une taxation à 50% des bonus supérieurs à 25 000 livres, puis des mesures similaires indiquées par la France ont créé la surprise, même parmi les banquiers. Si le montant total reste symbolique au regard des besoins totaux de financement – Londres n’en attend que 550 millions de livres – cette solution permet de mettre à contribution de façon exceptionnelle de très hauts revenus mal perçus par l’opinion. Politiquement elle relève d’un très bon calcul. Mais sur le fond, il n’est pas sûr que cette décision règle quoi que ce soit.

Le moment retenu pour annoncer cette taxe exceptionnelle est particulièrement bien choisi. Pour comprendre pourquoi, il faut savoir comment le paiement des bonus dans les banques anglaises est organisé. Au début du mois de novembre, les chefs d’équipe font remonter à leur hiérarchie les performances de leur équipe et émettent un avis sur le montant des bonus, qui s’exprime, pour simplifier, comme un pourcentage de la contribution de l’équipe au profit de la banque. L’enveloppe globale des bonus est ensuite validée à la fin novembre par le comité exécutif de la banque. Il devient alors très difficile d’en modifier le montant. Les bonus sont ensuite payés le «bonus day», qui se situe généralement en février. En annonçant mi-décembre une taxe exceptionnelle courant jusqu’au mois d’avril, Londres rend ainsi les stratégies de contournement plus délicates mais s’autorise à taxer l’ensemble des bonus de l’année 2009, qui sont tous versés sur une très courte période.

Cela étant, cette taxation ne cherche absolument pas à corriger les (mauvaises) incitations susceptibles d’être engendrées par le système de rémunération asymétrique des bonus. Si ce dernier peut inciter les acteurs de marché à prendre trop de risques, annoncer une taxe exceptionnelle sur les bonus a posteriori est une façon de pointer du doigt des revenus trop hauts sans chercher à modifier leurs conséquences. La taxe opportuniste ne pose pas du tout la question des risques engendrés par cette structure de rémunération. Pire, présenter la mesure comme exceptionnelle, c’est au contraire faire passer aux banques le message qu’elles ne doivent surtout rien changer à leur prise de risques.

Un problème supplémentaire de cette taxe est qu’elle ne porte que sur les bonus versés par les banques d’investissement. Elle oublie ceux versés par d’autres acteurs de la finance parmi lesquels les fonds de gestion alternative ou «hedge funds» qui n’ont pas ou très peu d’obligations de transparence. De ce point de vue, la création d’un taux marginal d’imposition supplémentaire sur le revenu aurait été beaucoup plus simple. En concentrant la taxation sur les banques, Londres et Paris incitent celles-ci à confier leurs activités les plus risquées et les plus rémunératrices à des structures ad hoc de type hedge funds, qui bénéficieront à la fois d’une quasi-absence de législation et d’une fiscalité plus avantageuse. Du point de vue du régulateur, il deviendra alors impossible de surveiller la prise de risques des acteurs de marchés. Ce serait un pas en arrière vers moins de régulation et de surveillance. Le remplacement de grandes banques par de nombreux petits fonds opaques n’est pas une solution de régulation. La faillite du fonds LTCM en 1998 avait obligé la Fed de New York à intervenir de façon importante pour éviter des conséquences trop importantes sur le système bancaire (déjà!). En 2007, la banque américaine Bear Stearns avait été très secouée par les problèmes du fonds Carlyle Capital. Renforcer les différences de traitement entre les hedge funds et les banques contribue à donner à ces dernières une incitation à créer des structures hors-bilan dont le suivi et le contrôle des risques sont impossibles selon la législation actuelle. Il ne faut pas non plus oublier que l’un des vecteurs de la crise de 2007-2008 était les Special Investment Vehicles (ou SIV) qui permettaient aux banques d’investir dans des actifs structurés sans que cela ne soit reflété dans leur bilan. Plus généralement la crise a mis au jour les problèmes que pouvait poser l’absence de transparence au niveau des bilans des banques. La création de filiales de gestion par les banques serait à cet égard une très mauvaise nouvelle.

Pour résumer, ce nouvel impôt ne modifie en rien le risque pris par les banques et pourrait au contraire inciter les banques à choisir des structures plus opaques et à s’installer sur des places financières plus arrangeantes et à la fiscalité plus avantageuse. Il serait surprenant que New York, Genève ou Hong Kong choisissent de suivre Londres et Paris. De plus, le nouvel impôt pourrait servir d’écran de fumée pour éviter de se poser les questions d’une régulation de l’ensemble des acteurs de la finance, des banques aux hedge funds en passant par l’organisation des échanges. La taxation des profits des banques ou des bonus pourrait éventuellement faire partie du dispositif mais dans une optique de modification des prises de risques, et pas dans celle de se donner bonne conscience en punissant des désignés coupables.

François Le Grand, professeur assistant en finance de marché à l’Ecole de management de Lyon.