Le Pape François inaugurel’ère du christianisme global

L’Eglise n’est plus dans Rome. Un pape sud-américain vient de le rappeler, avec humour et cruauté, aux éminences et monsignori, en majorité italiens, qui venaient lui présenter leurs vœux… Son diagnostic des quinze maladies de la Curie n’est pas un programme de gouvernement. Il sonne plutôt comme l’annonce que lui, François, ne se laissera pas détourner – contrairement peut-être à ses prédécesseurs – de la nécessaire réforme des sommets de l’Eglise.

Comme toutes les organisations centralisées, l’Eglise est confrontée à la « loi d’airain des oligarchies », énoncée en 1911 par le sociologue germano-italien Robert Michels à propos de la social-démocratie allemande. La minorité dirigeante oublie vite la majorité dirigée ; les chefs se jouent des masses. Cette tendance se trouve renforcée par le fait que l’Eglise, même si elle élit son chef, n’est de toute façon pas une démocratie (le Mystère de Noël n’a pas vocation à être mis aux voix) ; et la tête de son administration, la Curie, est l’héritière lointaine mais bien réelle d’un gouvernement temporel autoritaire, celui des Etats du pape d’avant 1870.

Conservatisme

Rien d’étonnant à ce que le conservatisme soit la pente naturelle de cet organisme. Lors de la première session du Concile Vatican II (1962-1965), la révolte de quelques évêques avait été nécessaire pour que leur assemblée, réunie par le pape Jean XXIII dans le but de débattre de la relation de l’Eglise au monde moderne, ne devienne pas une simple chambre d’enregistrement de textes concoctés par les officines romaines. C’est d’ailleurs à la suite de ce concile, celui de l’ouverture et de l’aggiornamento – la mise à jour –, que le successeur de Jean XXIII, Paul VI, avait ressenti et exprimé la nécessité de réformer une administration dont les archaïsmes devenaient synonymes de paralysie.

Deux problèmes se posaient à l’époque, et se posent toujours cinquante ans plus tard : celui des structures et celui des personnels. Dirigeants et employés de la Curie restent en majorité italiens – nous sommes à Rome – alors que la masse des catholiques n’est plus européenne. Quant aux structures, elles se caractérisent surtout par leur incapacité à communiquer et par leur fonctionnement féodal, pour ne rien écrire du manque de transparence de la gestion financière.

Paul VI avait donc entrepris, à la fin des années 1960, de réorganiser les différents départements (dicastères – institutions ayant reçu une délégation du pouvoir papal – et conseils pontificaux) et d’internationaliser le recrutement. Ses efforts ne furent pas vains, loin de là, mais se heurtèrent aux blocages inhérents à toute entreprise de cette sorte.

L’élection du Polonais Jean-Paul II, premier pape non-italien depuis plus de quatre siècles, aurait dû en bonne logique permettre une relance de cette rénovation. Or, même si d’indéniables avancées eurent lieu, en particulier (pendant un temps) sur le plan des finances, la guerre des clans (dont l’entourage polonais du pape) reprit le dessus et s’aggrava du fait de la longue maladie du pontife.

En fait, l’Eglise d’Italie, aux premières loges géographiques et consciente d’une sorte de « destinée manifeste » au sein de la catholicité, n’a jamais tout à fait admis de voir son influence se restreindre au sein de l’Eglise universelle. D’où les manœuvres diverses et variées qui ont amené Benoît XVI à renoncer à un pontificat assombri par les scandales. D’où aussi la volonté de François d’avancer à marche forcée vers un aggiornamento administratif, dès lors que l’hypothèque d’un nouveau pape italien est sans doute levée pour longtemps.

La prochaine chrétienté, a écrit Philip Jenkins, professeur à l’Université de Pennsylvanie, données démographiques à l’appui, sera celle d’un christianisme global. Et ce christianisme-là se situera avant tout dans l’hémisphère sud, à commencer par le continent africain. Le pape François a entrepris de faire comprendre aux quelque 2 500 fonctionnaires de la Curie que l’Eglise n’est pas tout à fait la même vue de Buenos Aires et des antipodes, ou vue des palais du Vatican. Ces fonctionnaires ne sont pas si nombreux, rapportés au 1,2 milliard de catholiques dans le monde. C’est plutôt l’hypertrophie de leur pouvoir qui frappe, à commencer par celui de leur chef, le pape.

Cet excès de centralisation est la résultante paradoxale de la disparition des Etats pontificaux au XIXe siècle, après des siècles d’affrontements entre les pontifes romains et les souverains européens. Au début du XXIe siècle, la sécularisation accentuée du Vieux continent, à rebours du reste du monde, appelle un autre mode de gouvernement de l’Eglise universelle que celui imaginé par le pape Grégoire VII lorsqu’il contraignait l’empereur de Germanie Henri IV à faire repentance devant lui, en 1077, à Canossa.

Quels seront demain les contours d’une Curie en même temps plus globale et plus modeste, capable d’assumer à la fois la tradition du christianisme et sa destinée renouvelée ? C’est ce dessein qu’impose à ses dignitaires le pape François, discours après discours, à coup de rappels à l’ordre et d’admonestations corsées. « Pour une plus grande gloire de Dieu », selon la devise des jésuites, dont il est issu.

Jean-Luc Pouthier, enseignant à Sciences Po et à l’Institut catholique de Paris, a fondé le site fait-religieux.com

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