Le pape veut rappeler les chrétiens à leurs responsabilités envers la planète

Ecrire sur les questions écologiques à l’occasion d’une fête chrétienne comme Noël semble une pure coïncidence. Plus généralement, on peut se demander de quoi se mêle le pape François lorsqu’il traite d’écologie, d’abord dans sa longue encyclique Laudato si (« Loué sois-tu », 2015) et, depuis, dans de nombreuses interventions. Le nom qu’il a choisi, celui du saint d’Assise, auteur d’un Cantique des créatures qu’il aime à citer et grand ami des loups et des oiseaux, ne suffit pas à lui conférer une quelconque compétence technique, que d’ailleurs il ne réclame nullement.

Le pape François ne dit pas que le souci écologique a toujours été partagé par le christianisme, voire que celui-ci s’est montré meilleur sur ce point que les autres pensées, philosophiques ou religieuses, comme le fait parfois une apologétique trop facile. Le christianisme n’a longtemps pas eu grand-chose à dire sur le problème écologique, tout simplement parce qu’il ne se posait pas encore. Mais, maintenant que nous avons à nous débattre avec lui, le pape veut uniquement rappeler les chrétiens à leurs responsabilités envers la planète. Pour lui, le souci de la « maison commune » terrestre est intimement lié à leur foi et à leur vision de l’homme, du monde et de Dieu, avec les devoirs qu’elle implique.
Commençons par ce Dieu dont François n’est que le serviteur.

Au Très-Haut, le ciel, aux hommes, la terre

Le Dieu de la Bible n’est pas prisonnier de sa sublimité, enfermé dans une tour d’ivoire céleste d’où il pourrait tout au plus parachuter commandements et interdictions. Sa liberté absolue lui permet de transcender sa propre transcendance et d’avoir une aventure (aussi au sens amoureux du terme) avec l’humanité. Selon le récit imagé de la Bible, cela commence par l’alliance avec Noé, continue avec Abraham, puis avec Israël, prémices de l’humanité entière, enfin avec Moïse. Dieu s’engage envers son peuple. Les chrétiens poussent l’idée d’alliance jusqu’à l’incandescence : les deux natures, divine et humaine, se sont unies « sans confusion, sans changement, sans division, inséparablement » dans la personne unique du Christ.
L’Ancien Testament connaît une répartition assez naturelle : au Très-Haut, le ciel, aux hommes, la terre. L’incarnation la transgresse. Rien d’étonnant à ce que cela choque.

Ce que les chrétiens fêtent à Noël est bien l’entrée de Dieu dans le monde et dans l’histoire humaine : un bébé couché dans une crèche. Si le Créateur entre dans la création, si le maître de l’histoire en devient un personnage, cela donne à la terre une dignité nouvelle. Une terre où Dieu s’est introduit n’est plus un simple « ici-bas » ; à son humble façon, elle participe de la sainteté divine. On rejoint par là, mais à un autre niveau, les intuitions des stoïciens ou l’émerveillement naïf devant la beauté d’une fleur ou la grâce d’un chevreuil.

La terre n’est donc plus ce qu’imaginait le cauchemar des gnostiques, un bourbier dans lequel l’âme, perle précieuse, serait tombée et dont elle chercherait à s’évader au plus vite. Certes, nous la quitterons à notre mort, mais ce n’est pas une raison pour négliger de l’entretenir, encore moins pour l’encombrer de nos ordures, car, si ordures il y a, ce sont les nôtres.

La terre a été sanctifiée mais pas sacralisée

Mais, en même temps, si Dieu est entré dans le monde, c’est donc qu’il venait du dehors. Il n’était pas une partie du cosmos, même la plus élevée. Du coup, la terre en a été sanctifiée, mais pas sacralisée, et encore moins divinisée. Tant pis pour la déesse Gaïa de certains deep ecologists. Il faut à celle-ci, comme à toute idole, car, toujours, « les dieux ont soif », des sacrifices humains. Et peut-être le plus radical : celui de l’humanité, invitée à s’éteindre en un lent suicide pour faire place à d’autres espèces, présentes ou encore à venir.

Pour les chrétiens, l’incarnation de Dieu en Jésus-Christ a pour but le salut de l’homme. Pourquoi lui seul ?, dira-t-on. Quelle arrogance ! Et les autres vivants, alors ? Bonne question. Mais animaux et plantes ont tout ce qu’il leur faut pour vivre bien, ils n’ont pas connu de chute. C’est l’homme qui est un problème. Il l’est pour les animaux dont, entre autres, il détruit le milieu naturel ; et il l’est aussi pour lui-même. C’est lui seul, l’animal malade, qui a besoin de salut. L’écologie doit donc se soucier aussi de l’homme, se faire « écologie intégrale ».

A date ancienne, le verset de la Genèse où Dieu demande à l’homme de « soumettre la terre et de dominer les animaux » (1, 28) n’a jamais été compris comme une invitation à donner libre cours à son désir de faire main basse sur la création. D’autant moins que, selon le récit biblique, l’homme, à cette époque, était encore végan…

Des « sages » du Talmud et des Pères de l’Eglise

L’érudit américain Jeremy Cohen l’a montré dans un livre de 1989, à travers une analyse parallèle des « sages » du Talmud et des Pères de l’Eglise : ces deux traditions, pourtant étrangères l’une à l’autre, ont toutes deux interprété le verset en un sens allégorique, comme la tâche pour chaque homme de soumettre en soi les vices dont les animaux sont censés être les symboles : ne pas être « sale comme un cochon », etc. Elles n’y ont jamais vu une injonction d’avoir à contrôler la terre, encore moins de l’exploiter à tort et à travers.

C’est au contraire le projet moderne, celui de Bacon et, le suivant, de notre Descartes, de se rendre « comme maîtres et possesseurs de la nature », qui a cherché à se donner une légitimité biblique en s’appuyant sur ce verset, préalablement interprété dans le sens qu’il lui fallait.

L’homme lui non plus n’est pas une idole à laquelle il faudrait sacrifier tout le reste de ce qui vit sur terre. Il n’est pas le seul habitant de la « maison commune » que le pape François demande de sauvegarder. Elle est celle de tous les hommes, à commencer par les plus pauvres, qui sont aussi les plus menacés. Elle héberge aussi tout ce dont l’homme est responsable, tous les êtres dont, même s’il est un tard-venu, il est comme le frère aîné.

Rémi Brague est philosophe. Historien des idées, ce spécialiste de philosophie antique et médiévale, qui se définit comme un « intellectuel catholique », est l’auteur notamment des Vérités devenues folles » (Salvator, 190 p.) et, avec Souleymane Bachir Diagne, de La Controverse. Dialogue sur l’islam, (Stock/Philosophie Magazine Editeur, 192 p.).

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