Le pari très risqué du Mouvement 5 étoiles

Si elle n’était pas très inquiétante pour la démocratie, la récente alliance de la Ligue (Lega) et du Mouvement 5 étoiles (M5S) pourrait faire sourire, tant elle semblait improbable il y a encore quelques semaines. Depuis qu’elle s’est formalisée, quelques esprits taquins s’emploient sur la Toile à recenser les déclarations hostiles et les invectives dont, il y a peu, les uns accablaient les autres.

D’un côté, Luigi Di Maio, dirigeant du M5S, dénonçait le racisme anti-méridional de la Ligue et de ses militants, qui suppliaient le Vésuve de nettoyer « Naples par le feu ». Son prédécesseur, Beppe Grillo, accablait la Ligue pour avoir, avec Forza Italia (le parti de Silvio Berlusconi), « détruit le pays ».

De l’autre, Matteo Salvini, secrétaire fédéral de la Ligue, dressait des procès en incompétence à l’encontre des responsables du Mouvement 5 étoiles, quand il ne le jugeait pas « plus dangereux que les communistes ». De fait, la peur d’une arrivée au pouvoir des 5 Etoiles a autrefois contribué à sceller l’alliance entre Forza Italia, Fratelli d’Italia (les héritiers du fascisme) et la Ligue.

L’alliance entre Salvini et Di Maio ressemble donc bien, à première vue, au mariage de la carpe et du lapin et l’on peut douter de la longévité du gouvernement d’union, même si chaque partenaire espère y trouver son compte. Les 5 Etoiles attendent une légitimité accrue de l’exercice du pouvoir national et la possibilité de conforter leur profil « ni droite ni gauche » aux côtés d’un allié plus radical (dont le site, Il Populista, affiche en exergue le slogan « Libère la bête qui est en toi ! »).

Quant à Matteo Salvini, il parie sur sa capacité à faire triompher ses propres orientations au sein de la coalition et à s’imposer comme le leader principal de la droite. Le contrat de gouvernement présenté aux Italiens semble d’ores et déjà valider cette stratégie tant celui-ci fait pencher l’alliance vers la droite, voire du côté de l’extrême droite.

La Ligue change d’échelle

Pourtant, il serait réducteur de ne percevoir le processus en cours que comme un simple avatar du « transformisme » ou du « gattopardisme », phénomènes bien connus des spécialistes de la vie politique péninsulaire, renvoyant à des pratiques de compromis gouvernemental qui dénaturent la volonté des électeurs.

A la différence des 5 Etoiles, dont l’objectif principal semble être celui de se hisser au rang de parti de gouvernement, la Ligue de Matteo Salvini répond à une stratégie plus articulée sur le plan temporel, idéologique et spatial. Depuis l’avènement de la Ligue du Nord et le passage de témoin d’Umberto Bossi à Salvini, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Ceux-ci enjambent désormais d’autres fleuves que le simple Pô, du nord au sud de l’Italie. La nationalisation du parti est allée de pair avec le changement de nom – de la Ligue du Nord à la Ligue tout court – et l’abandon, dans les textes officiels, de la rhétorique anti-méridionale au profit d’un discours anti-immigrés.

Le changement d’échelle va au-delà du cadre italien : la Ligue a resserré les liens avec des alliés européens autour d’un certain nombre de valeurs, mais surtout de rejets communs : les politiques, sinon le principe même, de l’Union européenne et l’immigration. Tandis que les objectifs anciens propres au M5S sont minorés – qu’il s’agisse de l’environnement ou du revenu minimum de citoyenneté, annoncé sans être budgété. Quant au développement du Mezzogiorno (régions du sud de l’Italie), il est simplement absent du programme commun.

On pourrait mettre au crédit du Mouvement 5 étoiles d’avoir limité l’anti-européisme de la Ligue, le mouvement ayant évolué d’une posture de sortie de l’euro vers celle « d’eurocritique ». La modération du contrat de gouvernement sur ce terrain doit plus probablement être imputée à un effet Brexit et à un pari sur les recompositions que celui-ci provoquera plutôt qu’à une évolution de la sensibilité du mouvement.

Comme le Front national, la Ligue vise désormais à se servir du Parlement européen et de ses partenariats pour consolider une stratégie nationale. Pour l’extrême droite, il s’agit moins d’être contre l’Europe que pour une Europe « antisystème », en ressuscitant le vieux rêve d’une « internationale nationaliste » qui, même lors des années 1930, n’était pas parvenue à voir le jour.

La discrétion sur l’Europe a pour contrepartie le caractère détaillé du texte sur le terrain de l’immigration, comme celui sur la sécurité – où est préconisée l’extension de la « légitime défense du domicile et du lieu de travail » – les deux thèmes qui constituent le fonds de commerce de la Ligue et de l’extrême droite européenne. Quant à la « question des migrants », elle fait l’objet d’un alignement pur et simple sur les positions de Salvini. Di Maio ne peut ignorer que la xénophobie est au cœur l’idéologie de la Ligue, qui a prospéré grâce à l’axiome « immigré = clandestin = délinquant » et des slogans tels que « La polenta, c’est mieux que le couscous », ou encore la diffusion de contre-vérités et affirmations simplistes relatives aux bénéfices supposés d’un renvoi des migrants.

Il ne peut ignorer non plus les atteintes aux droits fondamentaux qui résulteront de la constitution de vastes centres de détention à l’échelle des régions italiennes et l’accélération des procédures d’expulsion. Comme nombre de politiques européens, il considère sans doute que cette abdication est le prix à payer pour l’obtention d’un consensus à l’échelle nationale, oubliant sans doute qu’en matière de racisme et de xénophobie, l’histoire montre que les instrumentalisations profitent aux forces politiques dont c’est le cœur de doctrine.

Par Marie-Anne Matard-Bonucci, historienne et professeure à l'Institut d’Histoire du temps présent/IHTP. Elle est l’auteure de « Totalitarisme fasciste » (CNRS Editions, 300 pages, 25 euros).

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