Le populisme de Syriza mène à la catastrophe

Quelques jours après la victoire du parti de la gauche radicale en Grèce, le nouveau premier ministre, Alexis Tsipras, ose tout. En quelques heures, ses promesses les plus ubuesques figurent au sommet de ses premières mesures « anti-austérité » : gel des privatisations, hausse du smic et des retraites, volonté fièrement affirmée de négocier un allégement massif de sa dette avec la « troïka » (Fond monétaire international, Commission européenne et Banque centrale européenne) à laquelle il considère ne pas être lié.

Salué par la classe politique socialiste et marxiste européenne, le jeune tribun est également devenu la vedette d’une partie du monde académique qui, depuis quelques années, n’a eu de mots assez durs pour dénoncer l’effet pro-cyclique d’une austérité précipitant nos économies dans la spirale de la déflation, de la crise de la demande, de l’absence de croissance et du chômage.

Pointant du doigt le complot libéralo-rigoureux d’une élite déconnectée des souffrances des « vrais gens », ces enfants terribles du néo-keynésianisme omettent au moins deux vérités objectives : c’est le socialisme dont ils se revendiquent, et non la « troïka », qui a précipité la Grèce et d’autres pays européens dans une crise historique ; face à un tel échec de l’interventionnisme public, confronté à la faillite de l’Etat-providence, il n’y a tout simplement pas d’alternative à la réforme structurelle.

Vindicte anti-réforme

La vindicte socialiste anti-réforme, dont la petite musique n’a eu de cesse de se propager en Europe et, notamment, en France, est l’archétype de la maladie qui se prend pour son remède. Remettons les faits et les idées à l’endroit. Beaucoup semblent oublier que les éclairs qui nous foudroient depuis quelques années ne proviennent pas d’un Olympe capricieux dans lequel un Zeus-FMI s’amuserait avec quelques divinités à bousculer notre destin de pauvres mortels.

L’intervention de la « troïka » en Grèce – qu’on l’apprécie ou non – n’aurait jamais eu lieu si ce pays n’avait été frappé par une crise souveraine majeure, elle-même se manifestant par un surendettement public démesuré (175 % du PIB aujourd’hui), conséquence inéluctable d’un Etat dépensant plus qu’il ne perçoit.

Cette irresponsabilité économique, fille d’une indigence politique régulièrement portée, là-bas comme ici, par des gouvernements de gauche comme de droite, détruit, notamment en économie ouverte, les incitations à produire, à créer et à innover et s’accompagne inévitablement d’un ralentissement de la croissance, d’une augmentation du chômage et d’une tentative d’éviction d’une pression fiscale devenue exagérément punitive par le travail au noir ou l’exil fiscal. C’est cette mauvaise gestion préalable qui a causé la dégringolade grecque comme elle plonge une partie de l’Europe dans la spirale du déclin.

Raisonner autrement, c’est céder au populisme, à la pensée magique, aux solutions miracles qui se jouent, précisément, du quotidien des peuples. Quand la politique s’empare des pratiques vaudoues, le rêve se transforme généralement en cauchemar. C’est pourquoi il n’y a pas d’alternative. Du moins sur un point : tant que les dépenses des Etats demeureront supérieures à leurs recettes et tant qu’ils continueront à briser les volontés individuelles à coup d’arbitraire constructiviste, la pauvreté et la faillite publique seront au rendez-vous.

Economie de la peur

N’en déplaise à Syriza et à ses nouveaux disciples, les Etats doivent donc, tous, se réformer en réduisant radicalement leurs dépenses, la pression fiscale, les rentes illégitimes et les contraintes réglementaires excessives. Le débat peut exister, en revanche, sur la nécessité d’utiliser la politique monétaire pour faciliter, ou non, ces réajustements structurels.

Dans une économie de la peur, les ménages comme les entreprises préfèrent épargner plutôt que consommer ou investir. Cette « trappe à liquidité » condamne non seulement la relance par la demande via une augmentation de la dépense publique mais potentiellement, aussi, la relance par l’offre par l’effet de contraction des politiques de rigueur.

C’est dans cet esprit que la Banque centrale européenne, ayant perdu, à force de l’utiliser, le levier des taux d’intérêt et confortée par l’avis de l’avocat général de la Cour de justice européenne concernant le rachat de dettes d’Etats, a lancé un « quantitative easing » (QE) à l’américaine. D’aucuns y voient l’oxygène nécessaire à l’acceptabilité de la réforme, d’autres une création monétaire suicidaire, recréant une désincitation des gouvernements à réformer par l’allégement du stress financier et profitant plus aux grandes compagnies d’assurances et aux grandes banques détentrices de dette souveraine qu’aux citoyens et à la croissance réelle.

Mick Jagger du keynésianisme triomphant

On comprend aussi, ce qui devrait plaire à Alexis Tsipras, que nombre d’acteurs, y compris l’Allemagne, commencent à envisager une restructuration des dettes publiques par des rééchelonnements pour donner, là encore, un peu d’air à la réforme structurelle. Mais toutes ces interventions, condamnables ou pas, ne sauraient en aucun cas priver les Etats de revenir à la raison sur le plan budgétaire comme sur le plan des incitations individuelles. En Grèce comme ailleurs, ne nous aveuglons pas, bien plus qu’une stratégie clairement expliquée de reprise en main rigoureuse du pays, ce sont les mensonges et les fausses promesses nécessairement décevantes qui alimentent, par leurs résultats dramatiques, la montée des nationalismes.

Le prédécesseur d’Alexis Tsipras était parvenu, courageusement, à dégager un excédent primaire du service public, à relancer les exportations et à faire diminuer le chômage. Le risque, avec le plan à 12 milliards de Yanis Varoufakis, nouveau ministre grec des finances, véritable Mick Jagger du keynésianisme triomphant, porte un nom : appauvrissement.

La Bourse d’Athènes ne s’y est d’ailleurs pas trompée, en s’effondrant le 28 janvier de près de 10 % et en faisant reculer de 27 % la valeur de banques ayant déjà perdu, par anticipation, plus de 60 % de leur capitalisation depuis mi-décembre. Si la fierté nationale, élément moteur de la popularité du gouvernement d’Alexis Tiperas, doit effectivement être utilisée comme levier d’action, elle doit servir, à Athènes comme à Paris, la seule politique apte à recréer une profonde égalité des chances au service de la croissance et du progrès : la réforme structurelle.

Mathieu Laine, président d’Altermind, enseignant à Sciences Po.

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *