Le Prochain défi de Macron

Le président Emmanuel Macron a participé à l’iftar annuel du Conseil français du culte musulman (CFCM), à Paris, mardi soir. Credit Benjamin Cremel/Agence France-Presse — Getty Images
Le président Emmanuel Macron a participé à l’iftar annuel du Conseil français du culte musulman (CFCM), à Paris, mardi soir. Credit Benjamin Cremel/Agence France-Presse — Getty Images

Les électeurs français viennent d’en finir avec le long spasme qui a radicalement transformé leur système politique. A gauche, le Parti socialiste et Europe Ecologie Les Verts ne sont plus que ruines. A droite, des fractures affaiblissent Les Républicains. Avec seulement quelques élus chacun, l’extrême droite de Marine Le Pen et l’extrême gauche de Jean-Luc Mélenchon — cette dernière alliée par intermittence à un Parti communiste lui-même réduit — constituent une force extraparlementaire à géométrie variable plus qu’une opposition parlementaire significative.

La gauche et la droite renaîtront peut-être à terme: Le candidat socialiste à l’élection présidentielle, Benoît Hamon, et la maire de Paris, Anne Hidalgo, ont annoncé leur intention de créer chacun une nouvelle force politique. En attendant, le nouveau président, Emmanuel Macron, n’aura pas à trop s’inquiéter du côté des institutions politiques classiques. Il dispose d’une Assemblée nationale à sa main et pourra exercer son pouvoir de haut en bas sans difficulté majeure.

Par ailleurs, son parti est un ventre mou où cohabitent authentiques centristes, transfuges de la droite et de la gauche et nouveaux venus dont on ne sait pratiquement rien sinon qu’ils ont été sélectionnés comme candidats aux élections législatives par l’équipe Macron pour leur jeunesse et leur appartenance, a dit le président, à la «société civile» — traduction: pour leur inexpérience politique. Il ne s’agit de rien d’autre, puisque ces novices ne représentent en aucune façon la société, au mieux juste quelques secteurs des couches moyennes.

M. Macron a donc gagné son pari politique; maintenant il doit faire face aux difficultés créées par sa victoire. Il entend incarner la nation mais seulement environ 18% des inscrits ont voté pour lui au premier tour de l’élection présidentielle. Il lui reste encore à gagner la confiance de nombre de ses concitoyens.

Certains observateurs annoncent que des mobilisations de rue pourraient devenir la principale forme d’expression de désaccord, voire de résistance, au chef de l’état. Mais deux des trois syndicats les plus importants, la Confédération française démocratique du travail et Force ouvrière, ont déjà indiqué leur volonté d’aboutir à une solution négociée directement avec le gouvernement.

Des rencontres entre acteurs collectifs et le pouvoir ont eu lieu par le passé, mais cette fois — et c’est cela qui caractérise la nouvelle donne — elles s’esquissent alors que le Parlement risque de n’être que le théâtre de joutes sans grande portée.

Dans ce contexte, un dossier important sera certainement celui de l’état d’urgence. Les récentes attaques terroristes au Royaume-Uni et d’autres, bien que moins graves, à Paris ont renforcé les inquiétudes des Français quant à leur sécurité. Pour y répondre, M. Macron a proposé de mettre fin à l’état d’urgence — en place depuis novembre 2015 alors qu’en théorie il n’est pas fait pour durer — et d’en inscrire les principales dispositions dans le droit commun. Or à peine ce projet connu, un réseau composé d’associations humanitaires et des droits de l’homme, d’avocats et de juristes — qui s’était déjà mobilisé contre l’état d’urgence, à ses yeux liberticide — a fait connaître son opposition. Ses animateurs ont vite demandé à être reçus et entendus par des ministres, voire le chef de l’état.

Celles-ci ne seraient pas inédites en elles-mêmes. Mais dans le contexte actuel, qui lui est inédit, elles revêtiraient une signification singulière.

Deuxième dossier dont le traitement sera révélateur: la réforme de la loi sur le travail, annoncée par M. Macron dès le début de la campagne présidentielle. Il prévoit d’adopter un texte par ordonnances, donc sans véritable débat parlementaire. La difficulté sur le fond consistera à trouver un équilibre entre les demandes de chefs d’entreprise désireux d’embaucher et de licencier plus facilement et les attentes de salariés dont les syndicats mettent en avant la sécurité de l’emploi.

Pour l’instant, ces acteurs sont consultés par le gouvernement. Reste à voir si le pouvoir tranchera en considérant, ou non, les préférences des acteurs collectifs de la société civile — sachant que l’Assemblée n’aura ensuite qu’à entériner sa décision.

Si le président accordait une réelle attention à certaines des propositions portées directement par des citoyens à l’Elysée — propositions qui relèveront probablement de la gauche classique — il pourrait redonner du sens à l’idée que cette gauche-là a toujours une raison d’être, une idée pour l’instant décrédibilisée par la décomposition du Parti socialiste et pervertie par la radicalité de M. Mélenchon et de son mouvement, La France insoumise.

Ce point pourrait se révéler d’autant plus crucial que sur la scène politique institutionnelle la principale opposition viendra de la droite présente au Parlement — plus précisément d’une droite devenue dure en partie et donc peu encline a priori à se faire l’écho de revendications sociales sur des questions comme le travail et l’emploi.

M. Macron semble avoir fait un sans-faute stupéfiant depuis qu’il a fondé le mouvement En Marche!. Il a vu juste en tablant sur l’épuisement du clivage gauche-droite, du moins dans ses formes classiques. Il a anticipé que, malgré la montée en popularité des extrêmes, face aux urnes assez de Français rejetteraient la démagogie de leurs candidats.

Mais il lui reste un autre pari à gagner, celui-ci peut-être plus difficile encore: relancer la croissance et entamer le chômage. A cette fin, il semble disposé à mener une action rapide, et à faire passer sans grand débat parlementaire les réformes annoncées pendant sa campagne en s’adossant sur une technocratie puissante, même au risque de sembler impérieux.

Mais si, par ailleurs, il offrait à la société civile une nouvelle et réelle écoute — encourageant des citoyens acteurs à s’exprimer en leur montrant que la mobilisation et une contestation constructive sont payantes — il pourrait maintenir un équilibre avec une Assemblée plutôt à droite, tout en continuant d’incarner le dépassement du clivage gauche-droite. Dans le même temps, renforcer le rôle des acteurs de la société civile lui permettrait de contrer ceux qui aux extrêmes jouent sur le ressentiment pour fomenter les dissensions.

Michel Wieviorka, sociologue, est président de la Fondation Maison des sciences de l’homme et membre du Conseil scientifique de l’European Research Council.

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