Le recul du commerce international n’est pas le signe d’une démondialisation

Le commerce mondial n’a pas retrouvé son dynamisme des années qui ont précédé la crise de 2008. Alors qu’avant 2010 il croissait presque deux fois plus vite que la production mondiale, il n’évolue plus depuis qu’au même rythme que celle-ci. Cet essoufflement semble structurel, et pas seulement conjoncturel. Le recul très significatif de la part des produits assemblés en Chine dans le total des exportations de ce pays et le basculement de son économie vers l’intérieur est le premier facteur. Le deuxième facteur important serait le rétrécissement des chaînes de valeur mondiales, donnant lieu à une baisse des échanges de biens intermédiaires ou de pièces détachées au profit de relocalisations. Certains n’hésitent pas à qualifier ce recul du commerce mondial de « démondialisation », souvent confondue avec la volonté de nombreux pays de se protéger contre les effets négatifs de la mondialisation.

Quatre faits majeurs permettent de nuancer cette conclusion. En premier lieu, si la part des produits assemblés en Chine dans les exportations totales de ce pays a chuté durant les années 2010, le commerce international de biens intermédiaires exprimé en volume (en termes constants) continue de progresser. De même, on observe bien qu’un nombre croissant d’entreprises des pays anciennement industrialisés relocalisent les activités d’assemblage final antérieurement délocalisées en Asie dans des pays plus proches (par exemple, dans le bassin méditerranéen ou en Europe centrale et orientale pour les firmes européennes), mais plusieurs facteurs qui précèdent la crise de 2008 peuvent expliquer ces mouvements.

Tout d’abord, les coûts salariaux par unité produite dans les pays émergents ont rattrapé le niveau de ceux des économies industrielles. L’augmentation des salaires atteint jusqu’à 20 % par an en Chine, alors que la productivité y stagne. Ensuite, les frais de transport, les coûts cachés liés aux malfaçons, aux délais et aux aléas de livraison ont tendance à décourager les délocalisations. La résurgence du protectionnisme, en particulier depuis l’arrivée de l’administration Trump, a aussi augmenté les coûts des délocalisations industrielles. Par ailleurs, l’automatisation et la robotisation des tâches d’assemblage et de montage réduisent les coûts de production dans les pays industrialisés.

Enfin, les aspirations nouvelles du consommateur changent la donne : la demande de nouveauté, de personnalisation et de disponibilité immédiate des produits s’accommode mal d’une dilatation géographique trop lointaine des chaînes de valeur. Refusant l’obsolescence programmée et l’utilisation irraisonnée des ressources naturelles, un nombre croissant de ménages sont davantage sensibles aux biens de consommation de qualité, durables et respectueux de l’environnement, allant à l’encontre de la fabrication dans des économies-ateliers à faibles coûts salariaux.

Relocalisations… et poursuite des délocalisations

En second lieu, le recul du commerce international est donc moins le signe d’une démondialisation que celui d’une recomposition géographique des chaînes de valeur, qui cache des réalités très différentes selon les secteurs d’activité. Si les tâches de fabrication et de montage des produits à matières solides sont parfaitement robotisables, et donc relocalisables, ce n’est pas le cas des matières souples, dont l’assemblage demeure manuel. C’est pourquoi la délocalisation de la couture des vêtements se poursuit, passant des pays où les salaires augmentent (Chine) vers ceux où ils demeurent faibles (Vietnam, Ethiopie…).

De même, un vent de délocalisation souffle sur le secteur des services, qui concentre 75 % des emplois en France et en Europe. La caractéristique des activités de services est la simultanéité entre la consommation et la production du service, qu’il soit destiné aux entreprises ou aux consommateurs finaux. Or les technologies numériques permettent de respecter cette concomitance tout en délivrant la prestation à distance, dès lors que cette dernière a pour nature la production et l’échange d’informations. Dans les banques et les assurances, des centaines d’emplois de relation client, de comptabilité, d’informatique, de service juridique, voire de recherche et développement (R&D) partent chaque année dans des pays à plus faibles coûts. Seules sont inéligibles à la délocalisation les activités dans lesquelles la synchronie se double d’une proximité géographique : coiffure, restauration, nettoyage, jardinage, soins à la personne…

En troisième lieu, toutes les autres composantes de la mondialisation que le commerce des biens manufacturés ne connaissent pas de repli significatif. Les investissements directs à l’étranger (IDE), dont l’objectif est d’accéder aux marchés pour vendre sur place biens et services, augmentent depuis 2012, après avoir ralenti juste après la crise de 2008. Lorsque les coûts de transaction du commerce (droits de douane, transport, etc.) augmentent, les firmes multinationales ont tendance à sauter ces barrières pour produire sur place. Les flux financiers internationaux sont repartis à une allure triomphante depuis les années 2010. Il en est de même des données et des technologies. Alors que, jusque dans les années 1990, les firmes multinationales avaient tendance à conserver jalousement leurs activités d’innovation dans leurs pays d’origine, on assiste depuis à une globalisation des activités de R&D et de dépôts de brevet. Même les migrations internationales de personnels qualifiés progressent, en dépit des restrictions croissantes et des coûts de mobilité exorbitants qui pèsent sur les candidats à l’émigration.

Enfin, en quatrième lieu, la mondialisation n’a pas d’effets homogènes et continus ; elle touche différemment certains territoires et certaines catégories de travailleurs à différents moments. Autrefois, les travailleurs peu qualifiés des pays développés étaient les perdants de la mondialisation. La mondialisation contemporaine touche désormais aussi les travailleurs plus qualifiés (techniciens, ingénieurs), alors que les manageurs sont davantage gagnants. Les classes moyennes, frappées de plein fouet, suivent volontiers les partis populistes ou extrémistes, qui prétendent apporter une solution par la fermeture des frontières, la préférence nationale ou une sortie de l’Union européenne…

El Mouhoub Mouhoud est professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine PSL et auteur de Mondialisation et délocalisation des entreprises (La Découverte, 2017).

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