Le référendum britannique est une chance pour l’Europe

Cette semaine, dans un discours très attendu et dans une lettre adressée au président du Conseil européen Donald Tusk, le Premier Ministre britannique David Cameron a clarifié les réformes que l’Europe doit implanter afin de retenir le Royaume-Uni dans l’Union.

La mise en scène du drame britannique se joue en deux actes. Le premier acte, qui a commencé en juin, se focalise sur les négociations au niveau européen. Le second acte - la campagne électorale en Grande-Bretagne – commencera après le conseil européen en décembre. Il se terminera avec le référendum en juin ou automne 2016 et sera décidé au niveau national.

Dans l’imaginaire de la classe politique européenne, le plus grand danger est lié au premier acte et émane des partis eurosceptiques qui pourraient prendre le référendum comme modèle. Seulement la semaine dernière, Marine Le Pen a annoncé qu’elle « fer [a] comme le Royaume-Uni » : « Je demanderai un référendum… j’irai poser mes exigences ». Que restera-t-il du projet européen si chaque mouvement populiste s’inspirait du modèle Cameronien ?

Mais en réalité c’est le second acte qui risque de se transformer en tragédie : un « Brexit » est beaucoup plus probable de mener à la désintégration de l’Union européenne (UE) que les actes de certains partis politiques marginaux. Certes, un « Brexit » sera une catastrophe pour la Grande-Bretagne. Mais les enjeux sont presque aussi dramatiques pour le reste de l’Europe : si la Grande-Bretagne part, quels autres pays-membres suivront son exemple ? Quel avenir pour les plus de 2 millions européens qui vivent en Grande-Bretagne, ou pour les centaines de compagnies françaises qui font du commerce avec l’île (28.8 milliards d’euros) ? Que feront des compagnies françaises comme EDF, Areva, Airbus ou St Gobain avec leur investissement de plus de 92 milliards d’euros.

L’élite britannique est eurosceptique

Ce second acte sera dominé – et décidée – par seulement deux sujets : l’immigration et l’économie. Beaucoup pensent – à tort – que le Royaume-Uni a une population particulièrement eurosceptique, prête à tout pour quitter l’UE. Mais même après des mois de couverture médiatique intense, seuls 2 % des Britanniques pensent que l’Europe est l’enjeu le plus important auquel leur pays est confronté. En réalité, c’est surtout l’élite britannique qui est eurosceptique. Le peuple s’intéresse principalement à une question, celle de l’immigration. C’était le génie de l’élite eurosceptique et surtout de Nigel Farage – le leader charismatique du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP) – de réduire la question de l’Europe à celle du contrôle aux frontières.

Beaucoup d’Européens ne comprennent pas pourquoi les Britanniques sont si obsédés par l’immigration en provenance de l’Europe – après tout, la Grande-Bretagne était en faveur de l’élargissement, toutes les études montrent que les immigrés payent plus en impôt qu’ils ne prennent en aides d’Etat et la Grande-Bretagne a énormément bénéficié de l’immigration. Mais les avantages – et désavantages – de l’immigration sont distribués de manière inégale dans le pays. Dans certaines communes et villes, il y a des pressions extraordinaires sur les services publics, surtout au niveau du logement social mais aussi dans les écoles et hôpitaux. Dans certains secteurs de l’économie, l’immigration a de plus provoqué une baisse des salaires. Ces soucis ne peuvent pas être ignorés.

C’est donc sur l’immigration que la campagne du NON va se concentrer – ses adhérents vont argumenter qu’en quittant l’UE, la Grande-Bretagne pourrait contrôler l’immigration. Le problème de leurs adversaires, les supporteurs de la campagne du OUI, est qu’ils ne peuvent pas faire beaucoup plus que de montrer qu’ils prennent ces préoccupations au sérieux et qu’ils vont faire tout pour aider ceux qui ont été affectés de manière négative – mais pour les défenseurs du OUI il est impossible de faire des promesses de limiter le nombre d’immigrants venant des pays européens.

Consolidation du pouvoir des parlements nationaux

La campagne du OUI va donc essayer de focaliser toute l’attention sur les questions économiques. Leur plan d’attaque sera de montrer que les risques de quitter l’UE sont trop élevés – ce qui sera contré par les adhérents du NON qui disent que la Grande-Bretagne pourrait devenir le Singapore de l’Europe, membre du marché commun mais pas de l’Union politique.

C’est pour cela que la campagne du OUI doit faire tout pour neutraliser la discussion sur l’immigration et rappeler les Britanniques qu’économiquement, ils ont beaucoup à perdre. C’est là où les renégociations européennes deviennent importantes. Deux sont largement symboliques et présents surtout pour attirer les obsédés de l’Europe du parti conservateur : la consolidation du pouvoir des parlements nationaux, et la question d’une « union toujours plus étroite ». Mais les deux autres dossiers de réforme de David Cameron seront plus importants pour le référendum : la proposition de priver pendant quatre ans les ressortissants des autres pays européens de certaines prestations sociales, et les sauvegardes contre l’abus de la majorité des pays membres de la zone euro.

L’Europe a raison - et le droit - de critiquer Londres sur la forme de ses demandes – la menace de Cameron de soutenir le NON s’il n’obtient pas les réformes qu’il exige – mais en même temps elle devrait avoir tout intérêt à travailler avec Cameron sur le contenu. La majorité des Européens n’a pas réalisé qu’il y a eu un changement fondamental dans l’approche britannique dans les dernières années. Au lieu des demandes inouïes basées sur une idée abstruse de « British exceptionalism », les propositions de réformes actuelles sont plutôt raisonnables et pertinentes aussi pour le reste de l’Europe.

Les négociations autour le référendum britannique présentent une rare opportunité de re-légitimer l’Europe. Si à la fin des négociations, les Britanniques votent ‘OUI’, ce référendum pourrait se transformer en rare bénédiction démocratique pour l’Europe, bien nécessaire après la débâcle des référendums français et néerlandais en 2005.

En trouvant des solutions pour les problèmes britanniques et en négociant des réformes sensibles, l’Europe pourrait réussir de couper les ailes aux eurosceptiques et empêcher Marine Le Pen et compagnie d’exiger des référendums ailleurs.

Mark Leonard est le directeur du think tank le Conseil européen des relations internationales (ECFR).

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