Le revenu de base est incompatible avec le “modèle social français”

Le revenu de base universel (RBU) est une idée à la mode. Que l’on soit pour un RBU de droite, libéral et plutôt minimaliste, ou pour un RBU de gauche, un peu anarchiste et plutôt maximaliste, on insiste sur ses vertus en termes de liberté et de simplicité. Garantir un revenu à tous, et laisser les gens décider par eux-mêmes des moments où ils veulent travailler davantage – ou moins – au long de leur carrière.

Jusqu’à présent les critiques ont principalement porté sur le coût et le financement d’un tel dispositif. Si ces critiques budgétaires sont valables dans n’importe quel pays, la France se singularise aussi par un double archaïsme de son système social et fiscal, qui est profondément incompatible, en l’état, avec un revenu de base. Ce serait comme faire rouler une Ferrari à 200 km/h sur un chemin de campagne.

Un impôt sur le revenu élevé est un pendant indispensable au RBU. Pas seulement pour le financer, mais surtout pour éviter qu’il coûte trop cher. Si les classes moyennes paient un impôt élevé, cela annulera vite leur RBU ; pas besoin de leur faire un chèque net et cela baissera le coût net du dispositif.

Quotient familial et niches fiscales

Prenons un RBU de 500 euros et un impôt commençant à 30 %, avec des tranches progressives ensuite. La réforme serait neutre pour un revenu de 2 000 euros mensuels : 600 euros d’impôts moins 500 euros de RBU, contre 100 euros d’impôts actuellement. Pour les classes moyennes l’impôt et le RBU se neutraliseront à peu près.

Pour des plus gros revenus, l’impôt brut domine le RBU, et l’impôt net sera plus élevé qu’aujourd’hui. Prenons le cas de 4 000 euros – un individu aisé qui paie aujourd’hui 600 euros d’impôts par mois. Avec un impôt moyen progressif, 35 % par exemple à ce niveau de revenu, l’impôt net passerait à 1 400 – 500 = 900 euros.

Le RBU entraînerait donc un impôt sur le revenu élevé pour les classes moyennes supérieures et aisées, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Un peu comme l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), l’impôt sur le revenu français vise surtout les « riches » : il faut disposer de très gros revenus pour commencer à payer des taux élevés, et il y a un nombre important d’abattements et de niches fiscales, pour que les gens « pas si riches que ça » échappent à l’impôt.

Si le taux supérieur marginal est comparable à nos voisins, le taux moyen et le rendement de l’impôt sont faibles (75 milliards chez nous, 180 milliards au Royaume-Uni). Le RBU nécessite un impôt bien plus ambitieux, et cela passe par le prélèvement à la source et la fin (ou une réforme) du quotient familial et des niches. Un impôt qui touche surtout les 1 % et pas aussi les 20 % ou 30 % aisés n’aura jamais un bon rendement.

Chômage et retraite

Le chômage et la retraite devront aussi s’adapter au RBU. Dans un pays comme l’Angleterre, où le montant du chômage et de la retraite est un montant fixe, il serait assez facile de passer au RBU. Quitte à ce que les individus épargnent individuellement s’ils veulent une meilleure retraite – c’est leur choix.

Mais si le montant du chômage ou de la retraite dépend des cotisations versées, c’est plus compliqué. Si le RBU s’ajoute au chômage et à la retraite, ce serait un transfert massif des actifs vers les inactifs. En toute logique, le chômage et la retraite « contributifs » devraient devenir des compléments du RBU. Et ils seraient plus faibles qu’aujourd’hui, au détriment des chômeurs et des retraités les plus aisés.

Il faudrait aussi que le chômage et la retraite deviennent vraiment contributifs. Si l’individu est vraiment libre, il ne faut pas qu’il puisse abuser du système en cotisant moins pour toucher plus. Les droits doivent dépendre directement du montant des cotisations, et le mode de calcul doit refléter le bénéfice ou le coût des décisions d’un individu sur le système social, plutôt qu’un a priori moral.

Réformer en profondeur l’impôt sur le revenu

Or la Sécurité sociale française fonctionne encore trop sur une logique de « mérite », plutôt que sur le montant des contributions. Si l’on remplit certaines conditions, on est un chômeur ou un retraité « méritant », qui a droit à une indemnité ou une pension. Plutôt qu’un calcul actuariel basé sur les cotisations, le montant correspond davantage à un jugement de valeur sur la carrière de l’individu.

Par exemple, un intérimaire ou un consultant free-lance, qui travaille la moitié de l’année et est au chômage le reste du temps, est bien mieux traité qu’un salarié à mi-temps qui touche un demi-salaire. Y a-t-il une raison objective de faire une telle discrimination entre deux personnes travaillant à moitié ? Un RBU nécessite donc une retraite – voire un chômage – contributifs : à points, ou par capitalisation.

Avant de rêver d’un revenu de base en France, il faut donc commencer par réformer en profondeur l’impôt sur le revenu, qui date d’un âge révolu où l’essentiel des dépenses publiques reposait sur la fiscalité indirecte. Ainsi que le chômage et la retraite, créés à une époque de (quasi) plein emploi, où l’on faisait souvent toute sa carrière chez un seul employeur. Deux réformes indispensables, revenu de base ou non.

Charles Dennery, normalien, doctorant à la London School of Economics and Political Science.

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