Le revenu de base est passé de l’utopie philosophique à une possibilité concrète

Initialement formulé dans LUtopie de Thomas More au XVIe siècle, le revenu de base est une idée qui traverse les âges et dont la portée connaît un écho particulier aujourd’hui. Revenu de base, revenu universel, revenu d’existence, les terminologies sont nombreuses. Elles correspondent pourtant toutes à une notion commune, définie ainsi par les mouvements militants nationaux et internationaux : « C’est un droit inaliénable, inconditionnel, cumulable avec d’autres revenus, distribué par une communauté politique à tous ses membres, de la naissance à la mort, sur base individuelle, sans contrôle des ressources ni exigence de contrepartie. »

Alors que des expérimentations fleurissent à travers le monde, de la Finlande au Kenya, en passant par le Canada, force est de constater que le revenu de base est désormais passé de l’utopie philosophique à une possibilité concrète. Toutefois, les projets politiques qui se cachent derrière ces initiatives sont souvent très différents et peuvent s’éloigner des principes de la définition originelle. Au risque parfois de dévoyer l’idée, volontairement ou non.

A l’échelle européenne, les partis écologistes ont été les premiers à soutenir l’idée, notamment en France, en Finlande et aux Pays-Bas. Ont suivi des partis dits de la gauche sociale démocrate plus traditionnelle. A présent, le revenu de base est particulièrement soutenu à gauche, mais il sied également à certains partis néolibéraux, même si leur projet idéologique relève souvent d’une altération du terme : la plupart du temps, l’objectif est de rompre avec la logique de protection sociale universelle, en renforçant la conditionnalité des aides sociales.

Le risque de régression sociale

En France, les initiatives et les débats actuels témoignent de l’évolution du revenu de base universel. Il a été placé au cœur des débats de la campagne présidentielle de 2017 par le candidat socialiste Benoît Hamon, et plusieurs initiatives expérimentales sont, depuis, lancées ou en préparation. En janvier 2018, Damien Carême, maire écologiste de Grande-Synthe, dans le Nord, a annoncé sa volonté d’expérimenter un revenu de base dans sa ville. Un projet ambitieux qui nécessitera plusieurs années de préparation, raison pour laquelle il a décidé d’instaurer un minimum social garanti comme étape transitoire.

En septembre 2018, Emmanuel Macron a annoncé la mise en place, dans le cadre de son plan de lutte contre la pauvreté, d’un « revenu universel d’activité » (RUA), reprenant sciemment la terminologie de Benoît Hamon pour une proposition qui n’aurait d’universel que le nom. D’après les informations connues sur ce projet, qui verrait le jour en 2020, le RUA viserait uniquement les personnes en recherche d’emploi et serait conditionné à « l’obligation d’inscription dans un parcours d’insertion, qui empêche de refuser plus de deux offres raisonnables d’emploi ou d’activité figurant dans son contrat ». Il s’agit d’une belle opération de communication politique, au risque de régression sociale bien réel.

En janvier 2019, le groupe socialistes et apparentés à l’Assemblée nationale a déposé une proposition de loi d’expérimentation territoriale visant à instaurer un « revenu de base » sur les territoires volontaires, un projet élaboré et soutenu par dix-huit présidents de départements à majorité socialiste. Ce projet visait en réalité à expérimenter le versement automatique du RSA fusionné à la prime d’activité, voire, dans certains cas, aux aides pour le logement, ainsi que son élargissement aux jeunes de 18 à 24 ans. Cette proposition a néanmoins été rejetée par la majorité LRM, prétextant le possible doublon avec le projet de RUA du gouvernement.

Les risques de dénaturer le revenu de base vont de pair avec sa popularité croissante. Au-delà des partis politiques, l’idée apporte aussi des réponses concrètes à la crise sociale que connaît actuellement le pays. Le revenu universel fait l’objet de plusieurs propositions populaires dans le cadre du grand débat national et constitue un sujet de discussion au sein du mouvement des « gilets jaunes ». Qu’il s’agisse de précarisation de l’emploi, en particulier chez les femmes, de souffrance au travail, de « bullshit jobs »  – ou « boulots à la con » – , de stigmatisation des personnes au chômage, notre rapport à l’emploi mérite un questionnement de fond. Le revenu de base plaît d’autant plus qu’il permet d’interroger le sens que l’on donne au travail salarié, et plus généralement de réduire les injustices sociales sur lesquelles s’appuie notre système actuel.

Le manque de reconnaissance des activités effectuées gratuitement fait également partie de ces questionnements. Qu’il s’agisse du bénévolat, du militantisme politique, des productions artistiques ou du travail domestique, ces activités produisent des richesses sans lesquelles la société ne pourrait fonctionner. Continuer à développer une politique s’appuyant essentiellement sur l’emploi sans le questionner, dans sa nature et dans ses modalités, revient à nier le chômage de masse actuel, le mal-être que rencontrent nombre de salariés et le travail précaire. C’est aussi nier le fait que certains emplois ont un impact écologique et social négatif.

Ce logiciel aujourd’hui dépassé est voué à l’échec, en témoignent les mobilisations des « gilets jaunes ». Aussi, c’est en incluant le revenu de base dans un véritable projet de changement de modèle politique qu’il sera possible d’envisager une société socialement plus juste. Ce qui devient une perspective, malgré tout, de plus en plus réaliste.

Camille Lambert est coordinatrice du comité d’action du Mouvement français pour un revenu de base (MFRB), Chloé Bonifas est chargée de la communication du MFRB et Nicole Teke des relations publiques.

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