Le revenu universel est finançable et il ne créera pas une société d’assistés

Le revenu universel suscite bien des fantasmes : « C’est la fin de l’emploi » ; « Cela crée une société d’assistés » ; « Ça coûterait trop cher » ; « C’est une usine à gaz », entend-on de tous côtés. Pour cesser de se bercer d’illusions, prenons des exemples concrets : voici les conséquences qu’aurait l’instauration d’un revenu universel pour un couple de classe moyenne, pour le conjoint sans revenu d’un cadre, pour un travailleur pauvre aux revenus aléatoires, pour une personne seule aux revenus élevés.

Imaginons une réforme fiscale introduisant un revenu universel (RU) au montant intermédiaire de 548 € qui ne remplacerait que le RSA (revenu de solidarité active) et la prime d’activité (les aides au logement étant maintenues). Dans ce modèle de base, le financement repose intégralement sur une réforme de l’impôt sur le revenu (IR) : celui-ci est prélevé au taux de 34 % dès le premier euro gagné au-delà du RU, le taux marginal atteignant 48 % sur la dernière tranche. Bien sûr, il serait aussi possible de diversifier les sources de financement (lutte contre l’évasion et l’optimisation fiscales, impôt sur le patrimoine, etc.). Mais restons-en ici à la seule réforme de l’IR.

Un couple sans enfant de la classe moyenne, dans lequel chaque conjoint touche 2 000 € de salaire net par mois, paie aujourd’hui 296 € par mois d’impôt sur le revenu, ce qui lui laisse un revenu disponible mensuel de 3 704 €. Avec la réforme proposée, l’impôt mensuel passera certes à 1 408 €, mais chaque conjoint recevra son RU, portant le revenu disponible du couple à 3 688 €. Le RU ne change donc presque rien. Si : il permet à l’un des conjoints de choisir de réduire son temps de travail – par exemple pour faire du bénévolat associatif – en subissant une baisse de revenu disponible moins forte que sans RU.

Rééquilibrage des relations au sein du couple

Imaginons maintenant que dans ce couple, les 4 000 € sont gagnés par un seul conjoint (disons la femme), tandis que l’autre (le mari) n’a aucun revenu. Madame paie donc actuellement les 296 € d’impôt mensuel, sachant qu’elle en paierait 648 € si elle vivait seule : c’est le quotient conjugal qui lui permet de bénéficier d’une réduction de 353 € d’impôt, au nom du fait qu’elle doit « entretenir » Monsieur, qui, lui, ne peut prétendre au RSA. Avec la réforme, Madame ne pourra certes plus profiter du quotient conjugal, tandis que Monsieur percevra comme Madame ses 550 € de revenu universel, ce qui rééquilibrera les relations au sein du couple. Il deviendrait plus simple pour Monsieur de quitter Madame si celle-ci devenait violente par exemple…

Prenons maintenant un individu dont les revenus du travail sont faibles et variables d’un mois sur l’autre. S’il gagne 800 € nets dans le mois, il ne paie aujourd’hui pas d’impôt et perçoit avec trois mois de décalage une prime d’activité de 212 €, à condition évidemment de la demander : en 2011, 68 % des travailleurs pauvres ayant droit au RSA activité – prédécesseur de la prime d’activité – ne le demandaient pas. Avec l’introduction du RU, il lui sera prélevé 281 € d’impôt sur le revenu à la source sur son salaire, ne laissant que 519 euros de revenus nets, auxquels s’ajoute le RU, ce qui revient à un revenu disponible de 1 067 € pour ce mois, au lieu de 1 012 € aujourd’hui. Mais surtout, il saura que le mois suivant, quels que soient ses revenus d’activité, il percevra automatiquement ses 548 € de RU, alors qu’il lui est impossible aujourd’hui d’anticiper le montant de sa prime d’activité. Avec le RU, c’est l’impôt prélevé à la source qui s’ajuste instantanément aux variations de revenu, et non le montant de la prime d’activité avec trois mois de retard.

Nouvelles missions d’accompagnement

Certains craignent que le revenu universel revienne à abandonner les titulaires du RSA et les personnes sans emploi à leur situation d’exclusion. Bien au contraire. On pourrait redéployer de nombreux fonctionnaires des caisses d’allocations familiales et des conseils départementaux dédiés aux tâches administratives associées au RSA vers des missions d’accompagnement des personnes en difficulté d’insertion. Surtout, l’incitation monétaire à travailler serait accrue, puisque chacun saura qu’il conservera l’intégralité de son RU s’il retrouve un emploi, alors que la perte des allocations actuelles est parfois un motif de renoncement à l’emploi.

Chômeurs et retraités continueront à recevoir leur revenu de remplacement et percevront le RU, mais ils paieront plus d’impôt suivant le même mécanisme que pour les revenus du travail. En outre, les mécanismes de la politique familiale (allocations familiales, complément familial, allocation de rentrée scolaire, quotient familial) seraient réunis en un seul RU forfaitaire de 200 € à 250 € par enfant. Les personnes en situation de handicap et les mères isolées continueraient à recevoir l’aide supplémentaire actuelle, attachée à leur situation particulière.

Réforme socio-fiscale

Quant à la personne qui gagne, disons au hasard, un million d’euros par mois, elle toucherait certes le RU mais paierait 479 466 € d’impôt mensuel au lieu de 448 364 € aujourd’hui. Compte tenu du RU, son revenu disponible mensuel passerait de 551 636 € à 521 082 €. Certains se demandent pourquoi verser à tous un RU, pour finalement augmenter l’impôt de tous. Il y a d’abord une dimension symbolique importante : quand un revenu est versé à tous plutôt que d’être réservé aux pauvres, il n’est plus stigmatisant. Mais surtout, le mécanisme revenu universel + impôt universel est plus simple et plus clair, et supprime les effets de seuil. Avec un nouvel impôt individualisé, le prélèvement à la source aussi est simplifié.

Il faut donc sortir des fantasmes : le RU est finançable, ce n’est pas une usine à gaz et il ne créera pas une société d’assistés. Mais peut-être faut-il aussi cesser les grands discours qui le décrédibilisent. Le RU ne signe pas « la fin de l’emploi », ne garantira pas l’autonomie de tous, ne résoudra pas tous nos problèmes économiques et sociaux : c’est simplement une réforme socio-fiscale qui permet de rendre la redistribution plus claire et plus efficace.

Jean-Eric Hyafil, enseignant-chercheur au Centre d’économie de la Sorbonne.

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