Le revenu universel est le contraire « d’une proposition libérale »

Le débat sur le revenu universel est un débat à la mode. Mais il a un aspect inhabituel car il est défendu à la fois par Benoît Hamon, que l’on peut considérer comme un représentant du socialisme le plus extrême, et par des gens qui se prétendent libéraux. Essayons donc d’y voir un peu plus clair dans ce débat.

Il y a une raison fondamentale de s’opposer au revenu universel et d’affirmer qu’il ne s’agit pas là d’une proposition libérale : son instauration signifierait que l’on considère que chaque individu a un droit sur les membres de la communauté nationale. Dans une société libérale, c’est-à-dire une société d’individus libres et responsables, on n’a pas, par nature, de droits sur autrui (en dehors de ceux qui peuvent être librement consentis par autrui). Cette raison de principe, à elle seule, devrait être suffisante pour rejeter définitivement cette proposition. Mais on peut aussi adopter une démarche plus utilitariste consistant à s’interroger sur les conséquences possibles de cette proposition.

Le revenu universel incite à vivre aux dépens des autres

Or, ces conséquences sont assez faciles à discerner : de toute évidence, le revenu universel incite à minimiser ses efforts productifs et à vivre aux dépens des autres. Symétriquement, ceux qui auraient la charge de financer par leurs impôts ce revenu universel seraient moins incités à développer leurs activités productives. Une telle réforme risquerait donc d’aggraver la situation actuelle de faible croissance et de chômage élevé.

Cette proposition vise à permettre à chacun d’obtenir à tout moment un revenu minimum. En principe, tout le monde devrait pouvoir vivre de son travail, en dehors, bien sûr, des cas de handicaps physiques ou mentaux graves (qui peuvent alors éventuellement relever de la « solidarité »).

Mais les revenus que l’on obtient par ses activités productives peuvent varier en fonction des circonstances et même devenir nuls au cours de certaines périodes. Le financement des dépenses nécessaires pendant ces périodes peut se faire de diverses manières : en utilisant un patrimoine précédemment accumulé, en empruntant provisoirement, mais aussi en bénéficiant d’allocations obtenues par l’adhésion à des systèmes d’assurance.

Un cas évident de situation de ce type est celui du chômage. Mais, précisément, il existe un système efficace pour surmonter les difficultés des périodes de chômage, à savoir l’assurance-chômage. D’autres types d’assurance peuvent aussi permettre de faire face à ces périodes particulières où les circonstances empêchent un individu de pratiquer ses activités productives habituelles, par exemple par suite d’une maladie.

Variabilité des ressources

Or, le revenu universel ne tient pas compte de la variabilité des ressources obtenues par les individus, il est accordé de manière continue quelles que soient les circonstances. Imaginons le cas de deux individus qui obtiennent exactement le même revenu cumulé au cours de leur vie, mais où l’un d’entre eux connaît des périodes de revenu nul et obtient ainsi une allocation aux dépens de celui qui a des revenus stables. Où est la justice dans ce système ? Et ne devrait-on pas considérer que le « revenu universel » ne devrait être rien d’autre qu’un prêt qui doit être remboursé ?

Il serait normal de considérer que toute personne – en dehors des handicaps soulignés ci-dessus – a la capacité de gagner en moyenne par son travail sur l’ensemble de sa vie ce dont elle a besoin pour vivre, mais que la variabilité de ses revenus rend nécessaire l’existence de systèmes permettant de surmonter les périodes difficiles (assurance, emprunts, accumulation d’un patrimoine).

Certes, on est particulièrement sensible à notre époque à la situation d’un assez grand nombre de personnes qui se trouvent, au moins momentanément, avec des ressources nulles ou limitées, du fait de l’importance du chômage (et peut-être aussi de l’arrivée assez massive de migrants qui ne peuvent pas ou ne veulent pas s’insérer dans les processus productifs existants). La proposition de revenu universel obtient de ce fait une audience plus importante qu’elle ne le mériterait normalement.

Milton Friedman

Mais il serait plus important de recréer des conditions permettant au plus grand nombre de travailler et d’être bien rémunéré plutôt que de compenser les défaillances du système actuel par l’instauration d’un revenu universel. Dans la mesure où les défaillances actuelles sont essentiellement dues à un excès de prélèvements obligatoires, il conviendrait surtout de diminuer ceux-ci plutôt que de les augmenter par la création d’un revenu universel.

Le revenu universel apparaît d’autant plus attirant qu’il y a davantage de personnes démunies dans le pays. On fait alors appel à la « solidarité », ce mot magique que les politiciens démagogues aiment tellement ! Certes, les sentiments altruistes existent, heureusement, dans le cœur des êtres humains, mais cela ne devrait pas conduire à justifier une politique aveugle, injuste et destructrice.

Une précision s’impose enfin : les défenseurs du revenu universel qui se prétendent libéraux clament que cette proposition a été défendue par le célèbre économiste libéral, Milton Friedman (1912-2006). Mais, celui-ci a simplement expliqué qu’il serait préférable de supprimer les très nombreuses allocations spécifiques existantes et de les remplacer par une allocation unique, de manière à rendre leur liberté de choix aux bénéficiaires au lieu de donner le pouvoir aux politiciens et bureaucrates de décider quelle somme doit être allouée au logement, quelle somme à la nourriture, etc. Cette allocation unique prenait pour lui la forme d’une déduction de l’impôt sur le revenu de telle sorte que ceux qui auraient un revenu très faible ou nul bénéficieraient d’un « impôt négatif ».

On peut donc considérer qu’il existe bien des politiques pires que le revenu universel, mais ceci n’implique pas qu’il constitue une politique idéale et certainement pas qu’il s’agit d’une proposition d’inspiration libérale.

Pascal Salin, professeur honoraires d’économie et ancien président de la Société du Mont-Pèlerin.

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