Le Rwanda est sans doute un désastre français

Vingt-cinq ans après les faits, nous – Français – ne connaissons toujours pas la réalité de l’implication de notre pays dans le génocide des Tutsi au Rwanda. Il serait temps de sortir du déni car c’est le dernier génocide du XXe siècle, celui que ma génération aurait dû empêcher. Mais ce n’est malheureusement pas ce que nous avons fait.

Nous avons livré des armes aux génocidaires, avant le génocide, pendant et même après. Ce sont aujourd’hui des faits documentés, ils ont même été reconnus par Hubert Védrine, ancien secrétaire général de l’Elysée, sans qui aucune décision du président Mitterrand ne pouvait être appliquée et pilotée. Son audition devant la commission de la défense nationale en avril 2014 se passe de commentaires : la France a livré des armes aux génocidaires, mais c’était, selon lui, « sans rapport avec le génocide »

Pendant l’opération «Turquoise» – l’intervention militaire « humanitaire » de la France –, ces livraisons ont été effectuées via l’aéroport de Goma, au Zaïre [aujourd’hui République démocratique du Congo], qui était alors la base opérationnelle avancée de notre opération, et donc totalement sous contrôle de l’armée française. Aucune arme n’aurait pu être débarquée sans l’autorisation du chef d’état-major des armées, l’amiral Jacques Lanxade, car jamais mes compagnons d’armes ne l’auraient accepté sans son accord. Et des livraisons d’armes aux forces gouvernementales qui commettaient le génocide n’ont jamais cessé, notamment par les avions de la société Spairops.

Cruciales archives

Sur la question-clef des archives de ces opérations, présentées comme « humanitaires », ces décideurs français n’hésitent pas à affirmer qu’ils sont favorables à leur ouverture, d’une main, tout en les bouclant depuis vingt-cinq ans avec l’autre main. C’est une de leur caractéristique que d’afficher le contraire de ce qu’ils font en réalité, comme avait d’ailleurs procédé le président François Hollande, probablement sur leurs conseils avisés, en annonçant l’ouverture des archives en 2015, et en se gardant bien de le faire. Ces mêmes responsables s’assurent régulièrement, auprès de l’Institut François Mitterrand comme du ministère de la défense, qu’aucune initiative ne sera prise en la matière, et que nous ne puissions pas savoir ce qui a été fait en réalité « au nom de la France », en notre nom.

Le Rwanda est sans doute un désastre français, le Tchernobyl de nos interventions extérieures. Et lorsque l’amiral Lanxade annonce à Sciences Po Paris, le 20 mars, qu’une « commission est mise en place sur le Rwanda et là, on verra que jamais de telles instructions n’ont été données… », il faut s’attendre au pire. Nous attendions une commission d’historiens et de chercheurs avec un accès réel à toutes nos archives. Il nous faut maintenant craindre que le président de la République n’ait pas le courage d’aller au-delà d’un débat tronqué, d’un placard à balais dirigé par un haut fonctionnaire sans autonomie, débarrassé de tout contradicteur et limité à un accès aux archives fléché par ceux-là mêmes qui sont mis en cause.

Une entreprise sophistiquée

Mais pire encore, non contents de s’être trompés, ces décideurs français cherchent de plus à inverser les responsabilités. Ils ont été parfaitement informés par la DGSE que les extrémistes hutu avaient assassiné le président Habyarimana en avril 1994 pour s’emparer du pouvoir, qui allait leur échapper, et mettre à exécution leur solution finale. Le rapport balistique demandé par la justice française en 2012 a confirmé techniquement l’analyse de la DGSE. Alors, pourquoi ces responsables français continuent aujourd’hui encore à affirmer que le Front patriotique rwandais aurait abattu l’avion du président rwandais ? Pourquoi continuent-ils à insinuer que « des Tutsi auraient provoqué le génocide des Tutsi » ?

Pourtant, il n’y a pas d’alternative à la réalité. Le génocide des Tutsi n’a pas été un mouvement de vengeance spontané et incontrôlé d’une foule de sauvages. Bien au contraire, le génocide des Tutsi était une entreprise sophistiquée et machiavélique menée par une organisation implacable, préparée et financée depuis plusieurs années. Ce génocide a « conduit » chaque jour plus de 10 000 personnes à la mort, pendant 100 jours – 15 fois Oradour-sur-Glane pendant trois mois et dix jours. Alors, pourquoi nos décideurs inversent-ils les responsabilités ; pourquoi transforment-ils les bourreaux en victimes ?

Du fait de leurs décisions et de leur comportement, le président François Mitterrand, son secrétaire général Hubert Védrine, comme l’amiral Lanxade, son chef d’état-major des armées, nous ont mis dans une situation inacceptable : la France peut être accusée de complicité de génocide. Et ce n’est pas en nous enfermant dans le déni qu’ils échapperont à leurs responsabilités, car c’est un déni de démocratie, un déni de la réalité et un déni de la vie.

Guillaume Ancel est un militaire et écrivain français. Après vingt ans de service dans l’armée, qu’il quitte avec le grade de lieutenant-colonel, il poursuit une carrière de cadre dirigeant dans plusieurs grandes entreprises françaises. Il a publié plusieurs ouvrages sur les opérations militaires extérieures au Rwanda et en Bosnie, dont « Rwanda, la fin du silence. Témoignage d’un officier français » (Les Belles Lettres, 2018).

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