Le sacre raté d’Erdogan

Le Haut conseil électoral turc vient d’entériner les résultats du référendum du 16 avril sur les amendements constitutionnels accordant des pouvoirs sans partage au président Erdogan. Ces résultats, donnant une majorité étriquée de 51,4% au camp du «oui», ont été contestés par tous les partis de l’opposition ainsi que par ce qui, après l’interdiction de 1 500 associations, reste encore des organisations de la société civile comme l’Union des barreaux de Turquie.

Ils dénoncent de nombreuses irrégularités dont le bourrage massif des urnes, l’invalidation de près d’un million de bulletins en grande majorité en faveur du «non» et la prise en compte de plus de deux millions de bulletins frauduleux, non estampillés, en faveur du «oui». En dépit du bon sens et surtout en violation des articles 77, 98 et 101 du code électoral statuant explicitement que des bulletins et enveloppes ne portant pas le tampon du bureau de vote où ils ont été utilisés doivent être considérés comme nuls, le Haut comité électoral (HCE), à la demande du représentant du parti gouvernemental AKP, a décidé une heure avant la clôture des bureaux de vote, de comptabiliser ces bulletins douteux et de les «régulariser» en les tamponnant a posteriori.

Manipulations

Selon le député allemand Andrej Hunko, qui observait pour le compte du Conseil de l’Europe ce scrutin, cité par le New York Times du 21 avril «il semble crédible que 2,5 millions de votes ont été manipulés», soit en gros le double de la marge annoncée de la victoire du «oui».

La fraude a surtout été massive et systématique au Kurdistan, soumis à un régime d’occupation militaire. Le parti démocratique des peuples (HDP), pro-kurde, majoritaire dans la région, a été décapité quelques mois avant ce scrutin décisif: 13 de ses députés, dont son charismatique président Selahattin Demirtas, ont été jetés en prison. 84 maires élus, dont la maire de la capitale kurde Diyarbakir, Madame Gultan Kisanak, ont été destitués, placés en détention préventive et remplacés par des fonctionnaires nommés par Ankara. Plus de 3 000 autres élus et responsables de ce parti ont également été embastillés afin de les empêcher de faire campagne pour le «non». Le pouvoir turc a ainsi pu manipuler à sa guise les listes électorales et «réorganiser» les bureaux de vote.

Dans les fiefs de HDP, des bureaux de vote des faubourgs populaires ont été déplacés la veille du scrutin vers des quartiers «sécurisés» habités par la police pour décourager les électeurs. Dans les zones rurales, les bureaux des villages votant généralement contre l’AKP ont été mutés vers des villages tenus par des milices pro-gouvernementales.

A la suite de ces basses manœuvres, dans 2 645 bureaux de vote on a dénombré plus de votants que d’électeurs inscrits. Dans 960 bureaux le «oui» l’a emporté avec 100% des voix! On a bien sûr voté également à la place des quelque 500 000 Kurdes déplacés lors de la campagne de destruction des villes kurdes menée en 2015-2016 par l’armée turque. Dans son recours devant le HCE le parti républicain du peuple (CHP), principale formation de l’opposition turque, mentionne «plus de 10 000 procès-verbaux falsifiés où les votes "oui" et "non" ont été inversés».

2 511 minutes de paroles contre 0

Les missions d’observateurs de l’OSCE et du Conseil de l’Europe ont, dans un premier temps, souligné le caractère «inéquitable» de cette consultation qui n’a pas respecté les normes démocratiques européennes. C’est un doux euphémisme. Un décompte des temps de parole sur la chaîne de télévision publique TRT indique que du 1er au 31 mars le président turc, son Premier ministre et ses partisans du «oui» ont bénéficié de 2 511 minutes de temps de parole sur les écrans, le CHP, partisan du «non», d’une centaine de minutes et le HDP, le deuxième parti de l’opposition parlementaire, de 0 minute.

Les chaînes privées, contrôlées par le pouvoir, ont adopté la même approche. D’autant qu’un décret-loi d’Erdogan a opportunément abrogé l’obligation légale faite aux chaînes de télévision publiques et privées d’accorder un temps de parole équitable aux partis représentés au Parlement durant une campagne électorale.

Le CHP n’a pu tenir aucun meeting électoral dans les provinces kurdes «en raison de l’état d’urgence», mais le président turc et ses partisans y ont organisé nombre de rassemblements sous haute protection policière retransmis par les télévisions. Ainsi à Diyarbakir, le pouvoir a mobilisé plus de 7 000 policiers, des chars et des hélicoptères pour un meeting de M. Erdogan rassemblant devant la préfecture une petite foule d’à peine 2 000 personnes.

Dans ce contexte où tous les moyens de l’Etat ont été mobilisés à son profit, le Président turc espérait être plébiscité. Sa coalition avec le parti d’Action nationaliste (MHP) d’extrême droite devait, sur le papier, lui assurer une majorité d’au moins 62, score combiné de ces deux partis aux élections du 1er novembre 2015.

Or, partout en Turquie et en particulier dans les grandes villes, cette coalition enregistre des pertes de 15 à 20%. Sauf au Kurdistan où miraculeusement M. Erdogan, en dépit de sa politique de guerre et de violences, affiche des gains de près de 20%, un score qui donne la mesure de la fraude massive et qui a permis d’arranger in extremis la victoire coûte que coûte du «oui».

«Sous surveillance»

Le Haut conseil électoral dont 8 des 11 membres ont été nommés en 2016, après les grandes purges dans la magistrature turque, a donc convenu de cautionner la fraude la plus massive de l’histoire de la boiteuse démocratie turque depuis 1946. Sans doute ses membres craignaient-ils d’être à leur tour taxés de gulénistes et de traîtres et poursuivis en cas de désobéissance aux desiderata de l’irascible Erdogan. Mais ni en Turquie ni à l’étranger nul n’est dupe.

Même le très prudent Conseil de l’Europe a fini par réagir en décidant le 25 avril à une large majorité de placer la Turquie «sous surveillance». Le Président turc rêvait d’un sacre électoral légitimant sa stature de sultan élu. Sa marche qui se voulait triomphale s’est transformée en une pitoyable et déshonorante farce. Les électeurs kurdes et turcs, dans leur majorité, ont dit non à cette fuite en avant vers la dictature et vers l’abîme.

Kendal Nezan, président de l’Institut kurde de Paris.

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