Le soufisme, un recours face au désastre

Comment laisser des barbares fiers de leur crime envahir le monde, comment les laisser souiller le mot islam et les laisser agir en notre nom ? Comment accepter que Hervé Gourdel soit sacrifié comme l’agneau mystique ?

Nous avons deux positions à prendre d’urgence, une de circonstance, la seconde de fond. La première consiste à une immédiate protestation, celle qui dit qu’en tant que musulman, ces horreurs ne peuvent être faites en mon nom. A l’instar de l’initiative « Not in my name », des centaines de milliers de personnes ont mis en ligne leur photo en brandissant ce slogan. Si chaque musulman honnête agit ainsi, nous rétablirons l’honneur et la dignité du mot islam.

La seconde consiste à ne jamais cesser de transmettre les merveilles de l’islam en ces temps de désolation. Car une partie de l’antidote est à trouver dans notre héritage culturel. Comment lâcher en ces circonstances le corpus du soufisme ?

Il impose au sujet la complexité et l’affranchit pour une parole plus libre qui fait trembler le dogme. Il instaure l’intersubjectif dans la reconnaissance de l’altérité. En outre, le soufisme pense la croyance hors de la fiction du paradis et de l’enfer. Malgré toutes ces licences que les docteurs de la loi condamnent, dans les pays d’islam, le soufisme a depuis toujours joué un rôle pratique, de structuration sociale, par la transmission d’une morale digne qui ouvre sur la métaphysique, sur l’envol de l’esprit sans pourtant dénouer le lien social. Le moteur en est l’éthique du don et de l’altérité.

Le soufisme, dont les premiers maîtres apparaissent dès le début du VIIIsiècle, dérive de plusieurs sources qui font de lui une spiritualité inspirée aussi bien de la tradition chrétienne des Pères du désert que du néoplatonisme, sans oublier l’apport de l’Inde et de la Perse antique. Et son efficience n’a jamais failli, produisant jusqu’au XXsiècle des voix dissidentes.

RELIGION DE L’AMOUR

Nous savons que l’islamisme, sous toutes ses formes, voue une haine à tout autre, même aux coreligionnaires qui ne partagent pas sa vision mortifère. Par le soufisme, nous retrouvons une vision tout opposée : non seulement, l’autre, l’étranger à la croyance, est reconnu, il est même célébré.

Dès le VIIIsiècle, les maîtres soufis christiques sont en nombre : citons Rabi’a Al-Adawiyya (VIIIe), Bastami (VIIIe-IXe), Hallaj (IXe-Xe), Ibn Arabi (XIIe-XIIIe) ; et la chaîne ne s’est pas interrompue jusqu’à l’émir Abdelkader (XIXe) et le cheikh Alaoui de Mostaganem (XXe). Ces maîtres ont la certitude que la pluralité des croyances est un bienfait ; il est fécond de butiner dans la roseraie de la sagesse, quelle que soit l’origine de ces fleurs. Ainsi, Ibn Arabi écrit-il dans un de ses poèmes que son cœur est capable d’accueillir toutes les formes de foi, que sa religion est celle de l’amour et qu’il va où que mènent ses cortèges.

Mais, selon les soufis, nous vivons au présent un temps d’occultation qui exige le retrait pour le maintien et la revivification de l’expérience intérieure. Les soufis n’ont pas disparu, loin de là, ils sont partout dans les cités d’islam, ils sont présents jusqu’à Médine et La Mecque, gouvernées par la doctrine wahhabite qui honnit les soufis. Ils y préservent le saint et le sacré dans un paysage urbain voué au techno-islam.

Aussi on ne les trouve que si on les cherche. Pourtant, ils nous doivent d’être plus voyants. Ils ont, plus que d’autres, droit de cité en ces temps de malheur. « Que ton cœur soit le temple qui accueille les croyances toutes. » Ainsi parlait Ibn Arabi. A travers lui et d’autres maîtres soufis apparaît ce qui nous sauve en ces temps de péril.

Abdelwahab Meddeb, écrivain.

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