Le spectre d’un génocide culturel plane sur le Caucase

À l’issue de 44 jours de guerre sanglante dans le Haut-Karabakh (Artsakh, en arménien), les Russes ont été les instigateurs d’un accord obligeant les Arméniens à céder d’importantes étendues territoriales à l’Azerbaïdjan. Dès le 10 novembre, un cessez-le-feu est observé et environ les trois quarts d’Artsakh seront graduellement vidés de leurs habitants millénaires pour laisser la place aux Azéris. C’est une situation crève-cœur qui suscite la colère et l’indignation.

Depuis le 27 septembre, les Arméniens de la diaspora ont manifesté, participé à des collectes de fonds, pris d’assaut les médias sociaux, milité auprès de divers gouvernements pour la reconnaissance du droit à l’autodétermination du peuple d’Artsakh et la fin des hostilités dans le Haut-Karabakh. Tout cela, en vain. Le quasi-silence des médias, les intérêts géopolitiques des grandes puissances, l’omniprésence du virus et les élections américaines ont fait en sorte qu’au final, les Arméniens se trouvent devant un accord avec de lourdes concessions territoriales.

Cette blessure et cette colère sont encore plus profondes. Les Arméniens doivent comprendre que les récentes années de corruption au sein de la République d’Arménie ont joué à leur désavantage. En effet, sur le terrain, on pouvait constater le niveau de préparation de l’offensive azerbaïdjanaise. Dès les premiers jours, l’armée azérie a pu également compter sur ses alliés turcs, qui l’ont assistée, entre autres, en envoyant des munitions sophistiquées. Elle a par ailleurs eu recours à des drones militaires turcs équipés de systèmes de ciblage canadiens. Même si le ministre canadien des Affaires étrangères, François-Philippe Champagne, a essayé de rectifier le tir par la suite, mais le mal était déjà fait.

Nombreux sont les reportages qui témoignent de l’utilisation par l’armée azérie d’armes chimiques à phosphore blanc. Le degré et l’état de brûlures, additionnés aux effets secondaires souvent mortels, ont permis à des médecins français d’avoir la certitude du recours à ces munitions. Selon le droit international, toute utilisation d’arme chimique est une violation et constitue un crime de guerre. L’Azerbaïdjan doit donc être condamné pour ces actions commises dans le Haut-Karabakh.

L’histoire se répète

En 1915, les Arméniens ont été victimes d’un génocide perpétré par l’Empire ottoman. Dans le but de réaliser leur rêve de panturquisme, les Ottomans avaient libéré des criminels et mobilisé des bachi-bouzouks pour massacrer les Arméniens et les envoyer en exil vers le désert syrien. Le but ultime était l’extermination de cette première nation chrétienne et l’unification des peuples turcophones de la région.

En 2020, le même modus operandi se répète. Des djihadistes ont été recrutés par la Turquie en Syrie, du nombre approximatif de 2000, et envoyés en renfort dans le Haut-Karabakh. Un d’entre eux, capturé par les forces arméniennes, affirmait qu’on avait promis l’octroi à sa famille d’une somme mensuelle de 2000 $US à la condition qu’il accomplisse sa mission. De plus, à cette somme s’ajoute un cachet de 100 $US par tête d’Arménien décapitée. Qu’a fait la communauté internationale alors qu’on marchandait la valeur d’êtres humains ? Absolument rien.

En signant cet accord, le premier ministre arménien a aussi donné, malgré lui, le feu vert à la construction de nouvelles communications de transport reliant Nakhitchevan à l’Azerbaïdjan. Avec la mise en place de ce chemin, la Turquie aura un accès direct à la mer Caspienne, un rêve qu’elle caresse depuis les temps de l’Empire ottoman.

Les Arméniens, étant un des peuples de l’Antiquité, possèdent une mine de monuments, de cathédrales et d’églises dans le Haut-Karabakh. Des siècles d’histoire pourront partir en poussière aux mains des Azéris. Déjà, des vidéos et des photos témoignent de leur destruction. C’est d’un barbarisme inimaginable !

Les yeux remplis de larmes et le cœur serré, j’assiste avec impuissance à l’exil des Arméniens d’Artsakh. De nouveau, des milliers de femmes, d’enfants, d’hommes et de vieillards prennent la route vers un avenir incertain. La signature de l’accord les oblige à recommencer leur vie ailleurs, loin de leur foyer ancestral. Comme durant les jours suivant le génocide des Arméniens, il va falloir qu’ils apprennent à transformer leur colère en une force positive qui leur permettra de survivre.

Et pourtant ! L’accord signé le 9 novembre dernier n’apportera pas la paix tant souhaitée dans cette région. Ce n’est que lorsqu’il y aura une vraie justice que ces peuples pourront y vivre en paix. Et cette dernière n’est possible qu’avec la reconnaissance au droit à l’autodétermination des Arméniens d’Artsakh. La communauté internationale a failli à sa responsabilité dans les années 1990 ; il est encore temps de rectifier les erreurs du passé et de prévenir une crise humanitaire.

Myrna Karamanoukian, chercheuse indépendante.

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