A la suite du récent rapport du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme sur la très préoccupante situation dans la province du Xinjiang (Chine), le CIO vient de rendre public son Cadre stratégique en matière de droits humains, plusieurs mois après des Jeux d’hiver à Pékin et peu de temps avant la Coupe du monde de football au Qatar. Le sujet est d’actualité. Mais qui est concerné? Les pays qui accueillent des événements bien sûr, mais aussi les athlètes qui y participent et tous ceux qui sont impactés par eux, notamment les résidents et les ouvriers qui bâtissent les installations, car la notion de droits humains s’est considérablement élargie tout au long du XXe siècle.
A l’origine, il s’agissait essentiellement de droits sociaux qui devraient revenir à tout être humain sans discrimination, tels que mentionnés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme en 1948. D’ailleurs, dès l’année suivante, le CIO interdit dans la Charte olympique toute discrimination raciale, religieuse ou politique, notamment à la suite des Jeux de Berlin 1936. Dès 1964, il exclut des Jeux l’Afrique du Sud de l’apartheid, après moult débats. Ce pays ne reviendra aux Jeux qu’à Barcelone en 1992, où pour la première fois toute la planète sera présente, y compris la Chine (populaire), qui a finalement rejoint le système olympique dans les années 1980 (en acceptant la présence de Taïwan), ainsi que les Etats qui succèdent à l’URSS, qui avait rallié le système olympique dès 1952.
Avec les Jeux en Chine (en 2008 et 2022), ce sont les droits des minorités qui sont mis en avant. Ces Jeux font l’objet de nombreux appels au boycott à cause de la situation au Tibet, puis à Hongkong, en Mongolie du Sud et au Xinjiang. Face à ces appels, le CIO répond que ces territoires ne sont pas impliqués dans les Jeux et qu’il ne peut traiter de problèmes qui ne sont pas de sa responsabilité. Un dialogue de sourds s’installe alors avec les défenseurs des droits humains.
Le CIO se rend toutefois compte que sa position est de plus en plus intenable avec l’adoption par l’ONU, en 2011, des Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme reconnus par presque tous ses partenaires commerciaux. Il établit alors un Code pour une approche durable avec ses fournisseurs. Il rédige un Référentiel pour protéger les athlètes contre le harcèlement et les abus. Il revoit aussi le contrat qui le lie à la ville hôte des Jeux à partir de 2024 pour indiquer explicitement que les signataires doivent respecter les conventions relatives aux droits humains, pour autant qu’elles concernent les Jeux et leurs participants. Cette condition est vérifiée une première fois avant l’attribution des Jeux d’été 2032 à Brisbane (Australie). Il va sans dire que l’attribution des Jeux de 2024 à 2032 successivement à la France, à l’Italie, aux Etats-Unis, à l’Australie, puis au Japon, aux Etats-Unis ou au Canada (ces trois derniers pays étant candidats pour 2030) facilite les choses. L’exclusion récente, recommandée par le CIO, de la Russie et de la Biélorussie des compétitions sportives internationales à la suite de la guerre en Ukraine va dans le même sens, même si elle présente un dilemme par rapport à la non-discrimination (ici par la nationalité).
Mais maintenant, au nom du droit à la liberté de parole, ce sont les athlètes qui voudraient s’exprimer librement pour une cause à laquelle ils tiennent pendant les Jeux alors qu’ils ont l’attention des médias sur eux. Après avoir interdit de telles démonstrations (règles 40 et 50 de la Charte), le CIO les autorise désormais sauf sur le podium, pendant les cérémonies et au Village olympique. De telles démonstrations en ces lieux pourraient en effet mettre en danger l’exclusivité dont bénéficient les sponsors qui financent en grande partie les Jeux (et qui ne sont pas toujours ceux des athlètes). Il s’agit d’éviter une sorte de «tragédie des communs» annoncée par l’écologue américain Garrett Hardin à propos des biens qui sont librement à disposition sans gouvernance collective. Nous verrons si le récent Cadre stratégique du CIO permettra de mieux respecter à l’avenir ces multiples droits humains dans le système olympique.
Jean-Loup Chappelet, de l’Université de Lausanne.