Quelles que soient l'issue et les décisions prises lors du sommet de Copenhague, les entreprises vont rapidement prendre conscience des nouveaux enjeux liés au changement climatique... Leur avenir en dépend.
Les enjeux du sommet de l'ONU sur le climat vont bien au-delà du politique ou de l'écologique. Copenhague, c'est surtout l'entrée dans une nouvelle ère économique, celle du post-carbone.
Le contexte politique est favorable à l'avènement de cette nouvelle ère. Barack Obama et le premier ministre chinois, Wen Jiabao, seront finalement tous les deux présents à Copenhague, avec des objectifs chiffrés. Le gouvernement chinois annonce vouloir baisser son "intensité carbone" de 40 % à 45 % d'ici à 2020 par rapport à 2005, et on parle de 17 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) pour les Etats-Unis. L'annonce à quelques jours d'intervalle de la présence des dirigeants des deux pays les plus polluants au monde est un signe fort. Gageons qu'elle redonnera confiance aux citoyens, qui n'attendaient guère de décisions d'un sommet qui se serait tenu sans les Etats-Unis ni la Chine.
Dans le monde économique, peu de choses ont évolué depuis les bonnes intentions du protocole de Kyoto. Beaucoup d'entreprises ont résisté à procéder aux évolutions les conduisant à diminuer leurs émissions de GES.
En effet, les mesures à prendre ont un coût ; elles sont donc vécues comme de nouvelles contraintes. Mais les entreprises qui ne raisonnent qu'à court terme, qui ont reporté les investissements nécessaires à leur mutation pour protéger leurs marges, commencent à être pénalisées.
En refusant de modifier leur comportement, les sociétés les plus performantes hier le sont déjà un peu moins aujourd'hui. D'abord parce que l'énergie qu'elles consomment coûte de plus en plus cher. Et ce phénomène est irréversible. Ensuite, parce que, à ce coût financier, s'ajoute une dégradation de leur image auprès de leurs clients. Les consommateurs sont aujourd'hui sensibilisés à la responsabilité des entreprises dans le domaine social, mais aussi dans le domaine environnemental.
Une société construit un nouveau siège social ? Celui-ci doit être au moins énergétiquement neutre. Des produits sont fabriqués à l'étranger ? C'est à l'usine la plus proche des marchés d'approvisionner les distributeurs d'une région. L'entreprise a des fournisseurs, des partenaires, des transporteurs ? Ils doivent partager ses préoccupations et faire eux aussi des efforts tangibles et mesurables pour réduire leurs émissions de CO2. Les ONG mettent un point d'honneur à dénoncer les entreprises qui ne respectent pas ces nouvelles règles, ce qui altère leur image et, de fait, leur capital client. On observe en effet que lorsque les entreprises mesurent leurs émissions de CO2 - et celles de leurs fournisseurs, partenaires et sous-traitants -, elles peuvent les maîtriser et les diminuer et parviennent ainsi à réduire leurs coûts.
Ce qui se traduit souvent plus rapidement qu'elles ne l'imaginent en une augmentation de leurs marges. Mesurer le coût "écologique" des transports de marchandises pour optimiser les circuits d'approvisionnement ; travailler avec ses fournisseurs pour supprimer les emballages inutiles, les erreurs de livraison ; associer ses partenaires pour éco-concevoir des produits eux-mêmes moins consommateurs d'énergie, sont autant de pistes à explorer. Il existe des solutions (méthodes, logiciels, approches) pour mettre en place ces nouvelles attitudes et démarches.
Ce que nous sommes en train de vivre est bien un véritable changement de paradigme. Celui-ci impose aux entreprises de se repenser pour tirer le meilleur de la mutation en cours, mutation comparable à celles de la révolution industrielle ou de l'avènement d'Internet. Là où l'industrialisation a eu besoin d'un siècle pour transformer la société, il n'a fallu qu'une décennie à Internet et à la "nouvelle économie". Il n'en faudra pas tant au nouveau paradigme de l'économie post-carbone dont Copenhague marque le début et qui rend l'air payant.
C'est l'accumulation des attitudes et des idées innovantes qui donnera naissance à l'entreprise post-carbone. Des outils existent pour aider l'entreprise à tenir une comptabilité carbone, évaluer son exposition aux risques environnementaux, réduire sa consommation d'électricité et ses émissions de GES, etc. Il n'est plus question de choisir d'être "durable" ou non. La question est de savoir comment s'adapter à ce changement de paradigme pour continuer à être performante et rentable dans un monde soucieux de son environnement et de son avenir. Et sur ce point, il semblerait que beaucoup d'entreprises françaises se laissent d'ores et déjà distancer par leurs concurrents étrangers.
Certains dirigeants ont déjà entrepris de transformer les contraintes liées à la lutte contre le réchauffement climatique en opportunités économiques. Ils créent des entreprises ou réorientent les activités de leurs sociétés vers ces nouveaux business. Les cabinets d'études de marché évaluent à plus de 1 000 milliards d'euros les opportunités liées à l'économie post-carbone.
Prenons l'exemple de la Californie. D'une part, confronté à une crise énergétique sévère, le gouvernement a pris des mesures fortes et imposé que les énergies renouvelables fournissent 20 % de l'électricité consommée dans l'Etat d'ici à 2010 ! D'autre part, comme ils l'ont fait dans les années 1990 pour les technologies de l'information et de la communication, les capitaux-risqueurs ont déjà investi pas loin de 1 milliard de dollars cette année dans ce qu'il est désormais convenu d'appeler les "clean tech" et les "green tech". Et ils financent chaque semaine de nouvelles entreprises spécialisées dans les piles à combustibles, les batteries pour voitures électriques, les systèmes logiciels de gestion de l'énergie dans les bâtiments, les panneaux solaires photovoltaïques, tout ce qui contribue à réduire les émissions de CO2 ou à produire de l'énergie avec un meilleur rendement...
Il n'est que temps pour les entreprises de prendre conscience de ce changement et de voir au-delà de son impact financier à court terme. Celles qui n'agiront pas, qui subiront les inévitables nouvelles contraintes légales et économiques perdront leur avantage concurrentiel. L'avenir économique appartient aux entreprises qui sauront, d'une part, mener leur activité tout en préservant les ressources naturelles et l'environnement, et, d'autre part, pérenniser leur capital, mais surtout adapter en profondeur et très rapidement leur métier à cette "révolution verte".
Dan Vogel, président-directeur général de la société Enablon.