Le temps de travail continuera à baisser

Emmanuel Macron et d’autres se sont de nouveau illustrés en dépeignant la réduction du temps de travail comme une recette inefficace du passé. La réduction du temps de travail est pourtant amenée à se poursuivre. Elle semble inéluctable, et la principale question est de savoir comment l’organiser. Contrairement aux idées reçues, les Français ne travaillent pas moins que leurs voisins européens. Lorsqu’on se concentre sur la durée moyenne de tous les emplois, et non uniquement sur ceux à temps plein, les Français ont une durée hebdomadaire de travail de 35,9 heures en 2013, supérieure à la moyenne de l’Europe des Quinze (35,8 heures) mais également du Royaume-Uni (35,5 heures) et de l’Allemagne (35,2 heures).

Loin d’être une exception, la France a vu son temps de travail baisser dans des proportions relativement similaires à ses voisins européens. Seulement, cette baisse a ailleurs pris la forme d’une hausse de la proportion de temps partiel et d’une baisse du volume horaire de ces derniers. Le développement des «contrats zéro heure» au Royaume-Uni, ou des mini-jobs en Allemagne, symbolise ces évolutions.

Or, l’accroissement des temps partiels apparaît comme un facteur massif de disparités salariales entre les femmes et les hommes (les temps partiels étant très majoritairement occupés par les femmes) mais aussi de pauvreté chez les travailleurs. La baisse du temps de travail est amenée à se poursuivre, voire à s’amplifier, pour au moins trois raisons.

La première est liée à l’épuisement de la croissance économique. De profondes mutations structurelles - liées à la démographie, à la scolarisation universelle, aux inégalités - feront que les pays développés ne retrouveront certainement jamais des taux de croissance élevés, quelles que soient les politiques menées.

Dans ce contexte, il deviendra absolument vital «d’accroître le contenu en emplois de la croissance», si faible soit-elle. La réduction du temps de travail est un outil puissant pour atteindre cet objectif.

La deuxième raison a trait aux enjeux écologiques. Aussi «verte» soit-elle, la croissance sera amenée à devenir plus sobre, plus qualitative, ce qui renforcera le phénomène précédent.

La troisième raison est liée aux évolutions de nos sociétés et des aspirations des individus. Plus qu’hier, la demande est forte pour un meilleur équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle. Les débats sur les nouveaux indicateurs de croissance et la nécessité de se concentrer sur «la qualité de vie», plus que sur l’accroissement des richesses produites, ont illustré le phénomène (1). La plus forte participation des femmes au marché du travail a aussi apporté une plus grande demande pour une répartition plus égalitaire des tâches au sein des ménages.

Enfin, le vieillissement des populations et le développement de la dépendance accroissent la proportion des aidants familiaux consacrant plus de temps à leur famille ou à leurs proches.

Toutes ces évolutions appellent une meilleure reconnaissance des différents temps sociaux, et à de nouvelles possibilités offertes aux salariés de moduler leur temps de travail tout au long de leur vie. Plutôt que de laisser le marché organiser la baisse du temps de travail de manière inégalitaire en renforçant la polarisation du marché du travail entre les salariés à temps plein et ceux ayant des contrats courts, il sera nécessaire de relancer le mouvement historique de baisse du temps de travail.

A court terme, nous proposons la mise en place d’un compte épargne temps de vie permettant aux salariés de moduler leur temps de travail tout au long de leur carrière. Cela doit permettre de maintenir, au maximum, les individus à temps plein, y compris à des périodes charnières. On sait que les femmes basculent souvent à temps partiel au moment de l’arrivée d’un enfant, ce qui est source de disparités salariales sur le long terme.

Nous proposons, ensuite, de tendre vers la semaine de quatre jours, à la fois pour des motifs économiques, sociaux et écologiques. Economiques, tout d’abord, car une telle réforme incitera les entreprises à revoir profondément leur organisation, ce qui peut être source à la fois de gains de productivité importants et de créations d’emplois plus nombreuses. Sociaux ensuite, dans la mesure où la baisse du nombre de jours travaillés est source d’une amélioration plus importante de la qualité de vie, par rapport à une situation où la baisse du temps de travail est morcelée. Ecologiques, enfin, dans la mesure où la baisse du nombre de jours travaillés peut réduire les émissions liées au transport et la congestion des villes.

Ecolinks, collectif de chercheurs et d’enseignants-chercheurs en économie.


(1) Voir le rapport de Joseph E. Stiglitz, Amartya Sen et Jean-Paul Fitoussi, «Richesse des nations et bien-être des individus», publié en 2009.

Lire aussi la note de la Fondation Jean-Jaurès: «Travailler moins pour plus d’égalité» (avril).

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