Le TTIP n’est pas une simple histoire de clignotants

Les négociations du traité transatlantique ont repris cette semaine à Bruxelles. L’objectif de ce Partenariat de commerce et d’investissement transatlantique - en anglais Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP), alias TAFTA, pour Transatlantic Free Trade Agreement - est avant tout de gommer les hiatus entre les barrières non tarifaires, c’est-à-dire les différentes normes appliquées aux produits. Ce sont entre autres des normes techniques, qui compliquent les échanges commerciaux entre l’Europe et les États-Unis.

Leur harmonisation, par exemple l’introduction d’une couleur unique pour les clignotants de voiture, permettrait de réduire les coûts et de stimuler les échanges. Jusque-là, tout le monde est d’accord.

Il ne s’agit pas de s’opposer au libre-échange mais…

Hélas, ces barrières non tarifaires ne concernent pas seulement la couleur des clignotants, mais aussi les procédures d’homologation des produits chimiques, les normes de sécurité, la législation réglementant l’étiquetage des produits alimentaires, ou encore les conditions de travail, qui ne sont pas les mêmes en Europe et aux États-Unis. C’est là que le bât blesse.

La suppression des obstacles commerciaux risque aussi de vider de leur substance les législations sur l’environnement et la protection du consommateur. Il ne s’agit pas de s’opposer au libre-échange, dès lors qu’il est équitable. Mais s’il permet de rogner sur les droits du citoyen, alors il est normal que la résistance s’organise.

Afin de désamorcer les craintes, les gouvernements et les fédérations d’entreprises assurent que le TTIP n’aura aucune influence sur les normes environnementales ou alimentaires ni sur la protection ou l’information du consommateur. C’est un double mensonge.

Le « principe de précaution » écorné

Premièrement, l’abaissement des normes transparaît déjà dans le mandat de négociation de la Commission européenne. Le « principe de précaution », garanti par les traités au sein de l’Union européenne (UE) s’en trouve écorné. Selon ce principe, le doute scientifique fondé suffit à faire interdire une substance chimique présumée dangereuse, sans attendre la preuve scientifique définitive. L’inversion de la charge de la preuve prévaut : c’est au fabricant qu’il incombe d’apporter la preuve que son produit est inoffensif, non pas au plaignant de prouver sa nocivité.

En ancrant le principe de précaution dans le règlement Reach sur les produits chimiques, l’Union européenne a fait œuvre de pionnière. Aux États-Unis, en revanche, le principe économique l’emporte : on attend parfois jusqu’à un décès dû au produit supposé dangereux pour l’interdire. Or le TTIP prévoit l’harmonisation des normes par reconnaissance mutuelle. On risque dans ce cas d’aboutir à des compromis a minima.

Deuxièmement, le maintien des normes européennes, le cas échéant, serait non pas un succès, mais une déclaration de faillite. Car certaines pratiques scandaleuses comme, par exemple, la pollution de l’environnement par l’agriculture (engrais dans l’eau potable) ou le manque de transparence dans l’étiquetage des denrées, y compris concernant les produits génétiquement modifiés. Avec le TTIP tel qu’il se dessine, ces abus sont appelés à perdurer et resteront gravés dans le marbre du droit international pour des décennies.

Une politique qui nuit aux consommateurs

Le renforcement des normes de protection de l’environnement ou du consommateur augmente les coûts. Or l’objectif du TTIP est au contraire d’abaisser les coûts pour les grands groupes internationaux.

Pour y parvenir, ceux-ci pourront faire appel à une procédure d’arbitrage devant un tribunal privé supranational. Ainsi, les entreprises pourront se retourner contre l’Etat afin d’empêcher l’introduction de règles qui menacent leurs profits, même si elles sont d’intérêt général.

D’autre part le TTIP intègre également la « coopération régulatoire », un mécanisme pour harmoniser en amont les législations proposées par les États signataires, avec la participation active d’influents lobbies. Le TTIP viendra alors conforter une politique qui nuit aux citoyens et aux consommateurs. L’enjeu du traité transatlantique n’est donc pas seulement la couleur des clignotants.

Il s’agit en réalité de supprimer les obstacles commerciaux gênants pour les grandes entreprises et de porter atteinte aux droits du consommateur.

Thilo Bode, fondateur et président de Foodwatch, association européenne de défense des consommateurs

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