Le Venezuela bascule-t-il dans la dictature ?

Le Venezuela est en train de vivre l’une des crises sociales, économiques, politiques les plus terribles qu’ait connue un pays de l’Amérique latine au cours des trente dernières années. Les données statistiques concernant les morts violentes, la santé publique et l’état nutritionnel de la population sont les mêmes, voire sont pires que ceux de certains pays en guerre dans le monde. Reconnaître cette situation relève ainsi plus d’une responsabilité morale que d’un positionnement idéologique.

Le pays, une entreprise en faillite

Tentons de comprendre ce qui fait la singularité de cette crise. La création par le président Hugo Chavez en 2003 d’une bureaucratie étatique contrôlant à la fois les prix et les importations a engendré toute une série de mécanismes qui incitent hauts fonctionnaires et sous-traitants à la corruption et à la malversation des fonds publics.

Le modèle économique de la « révolution bolivarienne » a consisté à injecter des pétrodollars dans l’économie sans pour autant mettre en place une politique d’investissements publics consistante. La Banque centrale vénézuélienne a mis en place, tout au long des quinze dernières années, trente-cinq conventions de change avec des taux différents.

Ces contrôles (en l’occurrence administrativement incontrôlables), au lieu d’éviter la fuite de capitaux, ont promu la création d’entreprises fantômes qui bénéficient de taux de changes préférentiels pour importer les denrées nécessaires à la population, et qui s’enrichissent de cette manière.

Ce système va bien au-delà de la relation classique entre économie rentière et corruption, aussi appelée « la malédiction des ressources ». Aujourd’hui, l’Etat vénézuélien est devenu une entreprise importatrice en faillite et extrêmement corrompue qui, très souvent, ne règle pas les commandes qu’il passe aux fournisseurs étrangers ou laisse pourrir dans des containers en souffrance dans les ports, des tonnes de nourriture importées.

Le résultat, ce sont des ruptures d’apprivoisement et des pénuries de tous les produits indispensables pour la survie de la population : nourriture, médicaments, pièces détachées ainsi que de coupures récurrentes d’eau, d’électricité, etc. Les détournements frauduleux se comptaient en millions de dollars avant 1998. Aujourd’hui ils se comptent en milliards.

Les programmes sociaux mis en place par Chavez en 2003 ont suscité l’espoir de bâtir une société plus juste par un système d’équipes dédiées à la lutte contre la pauvreté : les « missions ». Mais ces « missions » ont voulu réduire la pauvreté par la distribution directe de la manne pétrolière. Elles n’ont pas été soumises à des vérifications comptables ni à des audits.

Dix ans après, les acquis sociaux prouvés en 2007 en matière de diminution de la pauvreté se sont dilués d’une manière dramatique. A long terme, les « missions » sont devenues des initiatives consuméristes qui ne pouvaient réduire durablement les inégalités sociales durables, bien au contraire : les pétrodollars n’ont pas assuré une politique sociale consistante et ont servi finalement à consolider de nouvelles formes de clientélisme.

Des malades condamnés par manque de soins

Le pays est en train de vivre le pire moment de trente-cinq ans de crise dans le secteur de la santé publique. Les patients atteints de maladies chroniques – diabète, hypertension, maladies rénales, cancers ou VIH, entre autres – sont condamnés à cause du manque de médicaments et de traitements. Les patients de maladies graves attendent une mort certaine dans les hôpitaux publics, faute des produits médicaux les plus basiques. Des épidémies de maladies infectieuses ravagent la population la plus vulnérable et sous-alimentée, comme les indigènes et les enfants des quartiers défavorisés et des campagnes.

La comparaison avec le Chili d’Allende, bien chère à l’extrême gauche française qui appuie la théorie conspirationniste du gouvernement vénézuélien du sabotage et de la « guerre économique » que lui mènerait la « bourgeoisie », ne résiste pas l’analyse lorsqu’on regarde les montants colossaux des revenus pétroliers engendrés par l’augmentation des cours du pétrole qui se poursuivit de 2001 à 2008.

Nicolas Maduro, au pouvoir depuis 2013, aurait parfaitement pu éviter cette catastrophe car la récession a commencé bien avant la chute du prix du pétrole. L’économie non pétrolière a été littéralement détruite et en même temps la dette externe a été multipliée par cinq depuis 2006. Ce pays n’a jamais été si dépendant du pétrole. En effet, l’anéantissement de l’industrie pétrolière vénézuélienne (PDVSA, la compagnie étatique pétrolière qui est presque en faillite du fait de sa mauvaise gestion et de la corruption) s’est traduit par une chute vertigineuse de la production.

Les distorsions de l’économie vénézuélienne sont occasionnées par la perversion de tout un système qui institutionnalise une escroquerie qui sévit avec l’aval et la participation de l’Etat lui-même, tout en enrichissant une caste militaire devenue, par défaut, l’arbitre, ou plutôt le décideur de l’issue du conflit politique. Le « dialogue » entre l’opposition et le gouvernement avec la médiation et des ex-présidents se réalise dans un climat confus, lorsqu’une grande majorité d’une population exsangue souffre sévèrement des pénuries de toute sorte et les effets d’une inflation qui a atteint 1 000 %.

Une classe politique corrompue et militarisée

Tel est le prix que la société vénézuélienne a dû payer pour la « reconnaissance des droits sociaux et politiques des pauvres et des exclus de la période démocratique » entre 1958 et 1998 : celui de la démocratie, rien de moins. La « révolution bolivarienne » du président Hugo Chavez a créé une classe politique surpuissante, corrompue et militarisée qui s’est servie de la force symbolique de la compassion envers les pauvres pour prendre tout un pays en otage.

L’enjeu pour l’opposition vénézuélienne, dans sa diversité voire son hétérogénéité, est actuellement de récupérer la Constitution de 1999 afin que tout le monde saisisse bien quels sont les droits des uns et des autres : rétablir la séparation de pouvoirs, la liberté de la presse et garantir des procès justes aux opposants incarcérés.

Aussi, la politique actuelle n’a pas tant pour but de discuter l’intérêt des programmes politiques du gouvernement et de l’opposition, mais de négocier avec le gouvernement quels sont les droits précis qui encadrent la lutte politique et en déterminent les règles du jeu.

Paula Vasquez Lezama, chargée de recherche au CNRS.

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