Le Venezuela est une île

Le 29 août 2017, un jour à marquer d’une pierre blanche. Devant la conférence des ambassadeurs, le président Emmanuel Macron qualifie le régime vénézuélien de «dictature», soulignant également la crise humanitaire à laquelle est confronté le pays. Fin du silence diplomatique et de la complaisance lequel, pendant des années, a couvert les échanges avec le Venezuela, depuis la France ou ailleurs. L’une des dernières tentatives des thuriféraires de la dictature, «insoumis» et autres experts autoproclamés, de défendre un modèle désormais indéfendable, consiste à cet égard à rejeter la responsabilité de la situation sur le successeur de Hugo Chávez. Nicolás Maduro, président depuis la disparition du «commandant suprême» et «Bolívar du XXIe siècle» en 2013, serait confronté à la «guerre impérialiste» menée par les Etats-Unis, alors que les échanges entre les deux pays, pétroliers notamment, n’ont jamais vraiment été remis en question par les deux parties, si ce n’est très récemment par l’administration… américaine. Il serait un leader moins charismatique, privé des ressources qu’assuraient jusqu’en 2012 les hauts cours du pétrole. Soit. Les images qui demeurent, celles des correspondants de presse, de photographes et de journalistes qui ont pu faire leur travail avant d’être censurés, emprisonnés ou expulsés s’agissant des envoyés étrangers, témoignent toutefois d’une répression gouvernementale démesurée à l’encontre d’une population civile non armée. Non armée si ce n’est d’un violon comme le jeune musicien violemment appréhendé. Non armée, comme cette vieille femme participant à un exercice de tir pour obtenir de quoi nourrir sa famille en échange de sa participation à la mobilisation générale décrétée par le régime afin de défendre le pays de «l’agression impérialiste». Autrement dit, de quoi obtenir des Clap (comités chavistes d’approvisionnement, lesquels fournissent leurs partisans exclusivement en produits de première nécessité) de quoi survivre en ces temps de crise humanitaire sans précédent.

En fait, c’est bien avant le «chavisme» qu’il convient de situer les origines de la catastrophe. L’arrivée de Hugo Chávez à la présidence de la République en 1999 n’est que l’aboutissement d’un processus (el proceso, que revendiqueront à l’envi ses défenseurs) qui devait prendre quelques décennies, de l’aveu même de son inspirateur. Fondation de l’«armée bolivarienne» en 1983, «loge militaire clandestine» devenue ensuite, sans renoncer pour autant au principe de la «fusion civils-militaires», «mouvement bolivarien», et, en 1996, «mouvement Ve République», autrement dit un parti politique visant à la conquête du pouvoir non plus par les armes (tentatives dont le Venezuela avait été préservé pendant quatre décennies de démocratie exemplaire de 1958 à 1998) mais par les urnes. «Révolution pacifique et démocratique» et «révolution participative» précèdent la radicalisation du régime à partir de 2002, radicalisation engagée au prétexte du coup d’Etat fomenté contre le président Chávez, coup d’Etat dont on ne sait encore ce qu’il fut réellement : coup d’Etat classique, contre coup d’Etat, intra-coup d’Etat et même, auto-coup d’Etat. La suite est connue, celle de l’imposition d’un modèle de plus en plus autoritaire - le socialisme du XXIe siècle à partir de 2008, s’appuyant sur un parti unique, le Parti socialiste unifié du Venezuela - et la succession des dissidences : des compagnons de route, tel le général Raúl Baduel (au côté de Chávez lors de sa propre tentative de coup d’Etat en 1992), emprisonné et actuellement porté «disparu» depuis sa cellule, d’intellectuels, de militants et d’anciens responsables. Les mesures répressives et dictatoriales de l’année 2017 culminent avec l’imposition d’une Assemblée constituante «élue» en août au mépris de la Constitution bolivarienne elle-même (1999) et de l’Assemblée nationale élue deux ans auparavant.

C’est ainsi que le Venezuela est peu à peu devenu une île : censure à l’encontre des médias y compris étrangers (officiellement depuis 2003, soit bien avant la fermeture des 50 médias enregistrée depuis le début de l’année 2017), et départ des compagnies aériennes confrontées à des pertes sèches et à la dégradation de la sécurité, deux évolutions (parmi d’autres) non comprises d’une opposition divisée, qui n’y voit que répression de la part du régime alors qu’il s’agit d’une stratégie d’isolement et de contrôle des corps et des esprits soigneusement conçue, sur le modèle cubain.

Lorsque le lieutenant-colonel Hugo Chávez se rend à La Havane pour la première fois en décembre 1994, il prononce un discours (disponible sur YouTube), lequel s’avère essentiel à la compréhension du temps présent vénézuélien. Il y évoque des «projets mutuels», Cuba en tant que «bastion de la dignité latino-américaine», et qu’il s’agit de ce fait d’«alimenter». En cette «ère d’éveils et de résurrections», d’«espoirs» mais aussi d’«idéologies qui ne servent plus à rien», et imposent donc un «travail idéologique», et après «dix années d’intense travail au sein de l’armée vénézuélienne», l’heure est venue de mettre en œuvre un «projet stratégique à long terme» auquel les Cubains ont «beaucoup à apporter», à un «horizon de vingt à quarante ans». Tel est l’origine du «projet national Simón-Bolívar», en une «résurrection du rêve bolivarien», en d’autres termes, du projet continental porté au Venezuela par le Libérateur Simón Bolívar au début du XIXe siècle et, vers la fin du siècle, par José Martí pour Cuba. Il reste qu’en 1994, l’accueil du «Mulâtre musical» (surnom donné à Chávez dans l’entourage du commandant en chef Fidel Castro) à La Havane et son intégration dans un projet castriste confronté à la perte de l’allié soviétique ne devait rien au hasard. Il ne tient désormais qu’à la communauté internationale que le Venezuela ne soit plus une île.

Merci, Monsieur le Président.

Frédérique Langue, Directrice de recherches au CNRS (Institut d'histoire du temps présent).

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