Le vent des révoltes arabes épargne Israël et les territoires palestiniens

Le vent des révoltes populaires qui souffle en tempête sur les pays arabes semble épargner Israël et les territoires palestiniens occupés, comme s'ils étaient protégés de la contagion venue de la place Tahrir, en Egypte. Israéliens et Palestiniens avaient de bonnes raisons de redouter la chute d'Hosni Moubarak et ils se sont efforcés de convaincre la communauté internationale de soutenir jusqu'au bout le vieil autocrate. Les voilà désormais du mauvais côté de l'Histoire, solidaires des oppresseurs plutôt que des opprimés, au risque d'accentuer leur éloignement avec leur voisin le plus proche.

Le statu quo leur allait bien : pour les Israéliens, le raïs égyptien était le garant de l'accord de paix signé en 1979. Les peuples s'ignoraient, ce qui importait peu, l'essentiel étant qu'entre Sinaï et Néguev la démilitarisation perdure. Quant à l'Autorité palestinienne, elle a perdu un protecteur, l'un des rares chefs d'Etat arabes qui, parce qu'il gardait le contact avec le premier ministre israélien, lui rendait davantage de services que des subsides.

Les deux exécutifs palestiniens de Ramallah et Gaza n'étant pas des parangons de gouvernance démocratique, ils ont jugé prudent de ne pas laisser le peuple leur demander des comptes. Les révolutionnaires palestiniens ne sont plus légion, ayant fait l'amère expérience de soulèvements populaires réprimés d'une main de fer. La seconde Intifada (2 000) a, en outre, engendré le gouvernement le plus à droite et le plus religieusement sectaire de l'histoire d'Israël.

Aujourd'hui, estime Sari Nusseibeh, écrivain et président de l'université palestinienne Al-Quds, "la flamme de la mobilisation nationale, qui existait dans les années 1980 pour la création d'un Etat palestinien, pour l'indépendance et la liberté, a pour l'essentiel disparu". Désormais, assure-t-il, "il faut "vendre" l'idée d'un Etat pour qu'elle soit acceptable et désirée par les Palestiniens. Ils voient que leur leadership n'a pas été capable de transformer ces idées en réalité, que les Israéliens ne veulent pas de la paix, et que leurs dirigeants ne sont guère vertueux".

Cette apathie populaire et politique dans les territoires a plusieurs causes. L'occupation israélienne est la plus importante. "Moubarak et son régime ont personnifié les souffrances et la colère des Egyptiens ; en Palestine, c'est Israël qui incarne cette responsabilité", explique l'ex-négociateur palestinien Nabil Chaath. La division de la Palestine entre la Cisjordanie et Gaza, entre les partis Fatah et Hamas, est un frein puissant à l'unité, partant à la mobilisation nationale.

L'embellie économique dont profite la Cisjordanie, avec une croissance qui a dépassé 8 % en 2010, ne pousse pas davantage à la révolte. Les deux solutions que pouvait offrir l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), les négociations politiques ou la lutte armée, ont perdu de leur crédibilité. Enfin, une partie des 1,5 million de Palestiniens vivant en Israël connaissent un dilemme quasi schizophrénique, partagés entre leur adhésion politique à un Etat palestinien indépendant, et leur propension à revendiquer des droits égaux à ceux de leurs occupants.

Sari Nusseibeh voit une autre raison : contrairement à la plupart des pays arabes de la région, la société civile palestinienne a suppléé son absence de gouvernement et d'institutions pendant quarante ans, en créant - avec l'aide financière internationale - un tissu social et éducatif. Paradoxalement, l'occupation israélienne n'annihile pas la vie démocratique : celle-ci n'est pas exemplaire, mais les Palestiniens pensent que leur vote peut sanctionner leurs dirigeants. Ce n'est guère le cas dans les pays alentour.

Pris au dépourvu par l'embrasement populaire arabe, les Israéliens réagissent en suivant leur réflexe historique de se barricader davantage. Les menaces stratégiques dont ils dressent la liste ne sont pas illusoires, et il est vrai que le flanc sud de l'Etat juif est devenu plus incertain. Mais ils se sont trompés en croyant que l'Amérique allait faire sienne, sans barguigner, l'approche de "la seule démocratie du Proche-Orient".

La crise égyptienne a été un révélateur parmi d'autres de sa relativité : démocratie parlementaire, respectueuse de l'indépendance de la justice et de la liberté de la presse, Israël l'est certainement. Pour les juifs. Au-delà de la "ligne verte", en territoire palestinien occupé, la pratique israélienne est celle d'un régime colonial aux "valeurs" démocratiques aléatoires. Encore au-delà, force est de constater qu'en Egypte, au Proche-Orient comme en Afrique, en Asie comme en Amérique latine, Israël a un penchant certain pour les régimes autocratiques, voire les dictatures. Les dirigeants israéliens n'ont pas encore tiré les leçons des événements d'Egypte. L'une d'entre elles est que face à un raz-de-marée populaire et non violent, la puissance militaire peut rencontrer ses limites.

Pendant longtemps, le monde arabe a admiré, sans oser broncher, l'Intifada palestinienne. En observant les révoltes alentour, la Palestine pourrait, demain, y puiser une nouvelle énergie politique pour contester massivement l'occupation israélienne. A une prudence près : il est peu probable que l'armée israélienne fasse preuve de la même retenue que les militaires égyptiens de la place Tahrir.

Par Laurent Zecchini, correspondant à Jérusalem.

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