Au Sud-Est, rien de nouveau? Comment seulement imaginer de bonnes nouvelles en provenance des Balkans, et qui plus est de la Serbie – pour beaucoup à jamais paria de la société des nations. Certes, les larmes du président serbe Boris Tadic à Srebrenica (Bosnie-et-Herzégovine) et sa récente visite à Vukovar (Croatie) n’effacent pas les crimes commis par la Serbie de Slobodan Milosevic. Mais qui reprocherait à Willy Brandt de s’être agenouillé devant le mémorial des victimes du ghetto de Varsovie?
Oui, un vent nouveau souffle à Belgrade depuis que la Cour internationale de justice (CIJ) a statué sur la légalité de la déclaration d’indépendance du Kosovo, depuis l’introduction commune par la Serbie et l’Union européenne d’une résolution onusienne sans précédent appelant Belgrade et Pristina au dialogue… à un dialogue qui n’impose ni n’exclut aucun sujet. Enfin, depuis, le 25 octobre, jour où les ministres européens des Affaires étrangères ont accepté de demander à la Commission européenne d’étudier la candidature de Belgrade, débloquant ainsi le processus d’adhésion de la Serbie à l’UE.
A Belgrade ce jour-là, point d’enthousiasme excessif. Juste la satisfaction, pour les Serbes, de se voir encouragés à poursuivre sur un autre chemin. Pour en prendre la mesure, rien de tel que d’aborder de front le sujet qui fâche: le Kosovo. Après les questions techniques – telles que la liberté de déplacement, la téléphonie mobile, la question des personnes disparues, le droit à l’éducation et à la santé – le statut du Nord du Kosovo ainsi que le sort des enclaves serbes finiront bien par être abordés.
Le pied est déjà dans la porte: depuis début octobre les autorités de Belgrade collaborent activement avec la mission «Etat de droit» de l’UE (EULEX) pour mettre un terme à dix années de non-droit et combattre les cercles mafieux, les trafics d’armes, de drogues et d’êtres humains au Nord du Kosovo. L’accord passé entre le président Tadic et le haut-représentant de l’UE, Catherine Ashton, porte ses fruits sur le terrain: premières arrestations et diminution manifeste des trafics en tout genre, premiers signes encourageants.
Les prochaines élections parlementaires anticipées au Kosovo reçoivent un autre accueil à Belgrade que par le passé. Le Parti démocratique libéral et le Mouvement pour le renouveau serbe ont appelé les citoyens serbes du Kosovo à participer aux élections, d’autres – comme le Parti démocratique – suivront très certainement. L’influent quotidien belgradois Politika – de tout temps proche du pouvoir – a ainsi pris fait et cause (le 25 octobre) en faveur de la participation aux élections.
La série d’attentats et d’actes d’intimidation visant des Serbes au Kosovo en faveur des élections, perpétrés par des extrémistes de Kosovska Mitrovica – le «bastion serbe» au Nord du Kosovo – est un aveu de faiblesse et ne cache qu’aux observateurs très mal informés le fait que les nombreux Serbes vivant au sud du fleuve Ibar s’opposent résolument à une partition du Kosovo. Pas étonnant dans ce nouveau contexte que Goran Bodganovic, le ministre serbe en charge à Belgrade du Kosovo-et-Métochie, rappelle les extrémistes serbes au Kosovo à l’ordre. La Realpolitik prend enfin le dessus d’une idéologie nationaliste désormais hors jeu.
Personne n’est cependant dupe. La partie engagée conduira les acteurs du dialogue à affronter le conflit séculaire entre Serbes et Albanais: soit à ouvrir dans un avenir proche des négociations portant sur le statut du Kosovo; en clair cela signifie la reconnaissance par la Serbie de l’indépendance de son ancienne province autonome.
La souveraineté retrouvée de la Serbie passe par l’adhésion à l’UE et un dialogue sans tabou avec les autorités de Pristina. Après Zoran Djinzic (assassiné le 12 mars 2003), Tadic joue gros: après son «je vous ai compris», il prend progressivement le parti de laisser le Kosovo aux Kosovars. De là à imaginer dans un proche avenir de nouveaux accords d’Evian (cette fois-ci pour le Kosovo) et un destin gaullien pour Tadic, il n’y a qu’un pas que nous franchirons volontiers.
La Serbie n’est pas le Kosovo, le Kosovo est aux Kosovars; l’autre Serbie est en passe de gagner et finira bien par convaincre même ceux qui, à l’«Ouest», l’ignorent.
Christophe Solioz, secrétaire général du Center for European Integration Strategies.