Le virage à gauche de l’Amérique latine

La victoire du jeune progressiste Gabriel Boric comme président élu du Chili confirme une tendance lourde qui souffle sur l’Amérique latine en faveur de gouvernements clairement identifiés à la gauche. Le tout a débuté avec l’élection d’Andrés Lopez Manuel Obrador au Mexique, en 2018, qui a précédé la victoire de l’aile péroniste d’Alberto Fernández à l’élection de 2019 en Argentine ; s’en est suivie la réélection du Mouvement vers le socialisme (MAS) en Bolivie en 2020, la victoire à l’arraché de la gauche radicale au Pérou puis l’élection de Xiomara Castro au Honduras en 2021.

Ces gouvernements, qui proposent de profondes restructurations sociales, bénéficient d’un appui favorable de la population, même si les résultats sont mitigés à ce jour. Un trait dominant de ces élections est sans contredit la polarisation importante dans l’opinion publique.

Cinq facteurs peuvent expliquer ce désir de changement de la population : la pandémie, les crises migratoires, les changements climatiques, les scandales de corruption ainsi que les inégalités sociales.

Le Brésil recense le pire bilan pandémique de la région avec plus de 600 000 morts. La gestion du président Jair Bolsonaro, qui a été sévèrement critiquée, pourrait laisser entrevoir l’approche politique que pourrait adopter un gouvernement de droite élu dans un pays voisin. Il devient donc plus évident pour la population de craindre des ratés et des échecs avec un style de gouvernement populiste prônant une gestion non interventionniste ou même non réfléchie.

On sait, par ailleurs, que le phénomène des crises migratoires s’accentue par l’augmentation de conflits armés liés au narcotrafic ainsi que par la crise sociopolitique au Venezuela, qui fait des ravages depuis 2010.

Les flux massifs de réfugiés ne vont qu’en augmentant, entraînant des effets négatifs qui ont un impact sur les populations et les systèmes publics des pays qui les accueillent. Une tendance qui se dessine est celle où les partis de droite qui font appel à un retour à la loi et l’ordre en alimentant un sentiment de peur ne semblent plus avoir d’emprise sur la population.

L’incidence négative des changements climatiques affecte particulièrement les ressources primaires des peuples vivant en régions éloignées, en particulier pour l’approvisionnement en eau potable, qui devient de plus en plus difficile.

Redistribution

Le phénomène de privatisation de la production des ressources primaires, privilégiée par les gouvernements de droite, tels les produits forestiers, le gaz naturel, les denrées de base de même que l’eau potable sont venus augmenter les sources de revenus de l’État sans pour autant permettre une amélioration des besoins de la population. Une redistribution plus équitable de la production des ressources naturelles est donc devenue un enjeu électoral prioritaire afin de soutenir les besoins de base de la population.

Un autre trait marquant des différents régimes de droite fut, sans aucun doute, la prévalence de la corruption et de l’inefficacité administrative. Il semble que pour ces différents régimes, soutenus au départ par un mécontentement généralisé de la population, cela a donné lieu à des politiques improvisées et mal préparées.

En toile de fond, ce qui ressort de ces dernières années, sur le plan politique, est la montée des inégalités sociales, qui ont abouti à une nette résurgence des revendications populaires en Amérique latine. Les médias sociaux n’ont fait qu’augmenter la force et la portée de ces mouvements citoyens touchant des thèmes prioritaires tels que les régimes de pensions, le coût du transport public, les programmes sociaux pour l’inclusion des peuples autochtones, les allocations pour enfants, l’accès universel aux soins de santé et plus encore.

La résilience des populations face aux défis de la modernité semble avoir donné de meilleurs résultats là où le tissu social est plus fort. Tout porte à croire que cette tendance se poursuivra avec la probabilité non négligeable d’un soutien au candidat de gauche Gustavo Petro à la présidentielle de la Colombie en 2022 et l’élection possible de Luiz Inácio Lula da Silva au Brésil en 2022.

Le résultat de l’élection au Chili va donner un élan à la gauche politique en Amérique latine, et l’intention de son nouveau président de mettre en place des politiques avant-gardistes, mais fiscalement responsables, permet d’envisager un certain optimisme sur l’amélioration des conditions de vie et de justice sociale pour le pays.

Ces mouvements de coalition de gauche en Amérique latine nous semblent de plus en plus forts, mais ils connaîtront du succès pour autant qu’ils soient en mesure de donner des résultats tangibles pour la population. Bien que celle-ci soit disposée à donner une bonne marge de manœuvre nécessaire à ces doctrines pour produire des avancées concrètes, la pérennité de ces acteurs politiques n’est pas garantie, ce n’est que le début d’un long parcours rempli de défis.

Florence Gagnon, Consultante et chercheuse en politiques latino-américaines.

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