Le voile islamique va-t-il faire son entrée officielle dans le sport ?

Sans doute inspirées par la fameuse "trêve olympique", les compétitions sportives sont conçues pour être un moment de rassemblement au-delà des différences avec un but commun, l'excellence sportive. Cette volonté de rassemblement sous une loi unique s'est concrétisée par des règlements extrêmement précis, tels que la règle 51 de la Charte olympique ou la loi 4 de la FIFA excluant toute forme d'expression politique ou religieuse sur les terrains.

Même lorsqu'ils défendaient une cause juste, les athlètes qui ont contrevenu à cette règle ont été sanctionnés. Personne n'aura oublié les athlètes noirs américains, Tommie Smith et John Carlos exclus à vie pour avoir manifesté leur soutien au mouvement des Blacks Panthers, lors des Jeux Olympiques de Mexico en 1968.

Or voilà que se pose aujourd'hui un problème épineux : l'Iran fait entendre sa voix et exige que les instances dirigeantes du football acceptent le code vestimentaire islamique imposée à toutes les femmes en Iran au nom de Dieu.

Pour respecter les différences va-t-on ouvrir la boîte de Pandore ? A quoi ressemblera le sport ?

LA STRATÉGIE IRANIENNE

Depuis deux décennies, la République islamique d'Iran fait pression sur les fédérations sportives internationales et le Comité international olympique (CIO) pour obtenir une entorse aux règles du sport en faveur du hijab.

Le CIO a déjà cédé. Dès 1996, aux JO d'Atlanta, le CIO autorisait l'entrée dans le stade olympique de la première athlète en tenue islamiquement correcte couvrant entièrement son corps. Résultat, une épidémie de costumes islamiques : en 2008 aux JO de Pékin quatorze délégations défilaient avec des femmes ainsi vêtues. L'athlète du Bahreïn, Rakia Al-Gassra ne faisait d'ailleurs pas mystère du caractère religieux de sa tenue.

La débandade du CIO devant le chantage islamique fait peu de cas du courage des glorieuses médaillées d'Afrique du Nord, la marocaine Nawal El Moutawakel et l'algérienne Hassiba Boulmerka qui ont bravé la menace des intégristes et ont couru, comme les autres, bras et jambes nus avec le costume règlementaire devenant ainsi des modèles pour la jeunesse de leur pays.

LA FIFA COMMENCE PAR RÉSISTER…

Invoquant la loi 4 de son règlement, la FIFA exclura l'équipe de foot féminine d'Iran quelques semaines avant les premiers Jeux olympiques de la jeunesse à Singapour (août 2010). Face aux menaces de représailles des pays islamiques le président de la FIFA se ravisera et acceptera un "compromis" parfaitement hypocrite : les joueuses seront couvertes de la tête aux pieds, à l'exception des oreilles et du cou…

Ce compromis ne sera pas respecté : au printemps 2011, en Jordanie, lors des épreuves qualificatives pour les JO de Londres, l'équipe d'Iran se présentera totalement couverte de la tête aux pieds. Le représentant local de la FIFA décide de l'exclure.

C'est dans ce contexte que le vice-président de la FIFA, qui se trouve être l'un des frères du roi de Jordanie, organisera à l'automne 2011 un séminaire à Amman, dont la conclusion sera que le hijab "n'est pas un signe religieux mais un signe culturel". Il ne remet donc pas en cause la règle ! Conclusion approuvée par la Commission exécutive de la FIFA à Tokyo, en décembre 2011.

LE CONTOURNEMENT DE LA RÈGLE EN CATIMINI

Il ne restait plus qu'à faire entériner la chose le 3 mars, lors de la réunion annuelle de la puissante IFAB (International Football Association Board), seule instance habilitée à se prononcer sur les règles du football.

Pour éviter toute mauvaise surprise, le sujet ne sera pas inscrit à l'ordre du jour de la réunion sous la rubrique : "points nécessitant une décision" (ce qui aurait impliqué une analyse des enjeux du contournement de la règle), mais dans : "questions diverses", sous un libellé sibyllin.

Cerise sur le gâteau, le conseiller spécial sport auprès du secrétaire général des Nations unies, Wilfried Lemke, mu par un élan spontané, rendit publique la veille de la réunion de l'IFAB, sous forme d'un communiqué des Nations unies, la lettre qu'il venait d'adresser au président de la FIFA dans laquelle il prônait l'autorisation du hijab sur les terrains de sport !

Au-delà de la question du hijab, ce qui est en cause c'est le peu de considération portée à un sujet impliquant le droit des femmes. Comme l'écrit la philosophe Geneviève Fraisse dans une tribune remarquable parue dans Le Monde : "Refusons le déni politique, le rejet de l'importance du port du voile. Car en matière de féminisme, c'est courant, c'est même un argument clé de la domination masculine ; passez votre chemin, il n'y a rien à voir ; que du futile, du privé, de l'anecdotique."

Une façon de dire que lorsqu'il s'agit des femmes, point n'est besoin de mettre en œuvre les véritables mécanismes de prise de décision, ni même de faire semblant de les mettre en œuvre. Il faut dire (à la décharge ?) des Nations unies et de la FIFA que les intérêts économiques (un marché de millions de costumes sportifs islamiquement corrects) et idéologiques (une tribune internationale pour les tenants de l'islam politique), sont considérables. Que pèsent les valeurs du sport face à cette réalité ?

EN SPORT COMME EN POLITIQUE, L'UNIVERSALITÉ NE S'APPLIQUE PAS AUX FEMMES

A l'image de la Convention des Nations unies pour l'élimination des discriminations à l'encontre des femmes (CEDAW) – qui était censée prôner l'universalité des droits, mais qui est en fait gangrénée par les "réserves" des Etats au nom de la culture et de la religion – le monde du sport rompt avec l'unicité de la règle sur le conseil d'un haut fonctionnaire des Nations unie qui se permet d'interférer avec des décisions relevant de dirigeants sportifs souvent plus sourcilleux de leur indépendance.

Par Annie Sugier, Anne-Marie Lizin, Linda Weil-Curiel, Ligue du droit international des femmes.

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *