Le vote suédois confirme que l’UE devient le terreau des extrémistes

Les résultats du scrutin en Suède confirment l’émergence d’une nouvelle donne politique en Europe. La vision binaire construite autour de la droite démocrate-chrétienne d’un côté et de la gauche sociale-démocrate de l’autre, avec un espace étroit laissé aux partis libéraux classiques, est maintenant dépassée.

La plus grande région démocratique du monde, composée de 46 Etats-nations membres du Conseil de l’Europe, obéit à une nouvelle force politique centrifuge, où l’identité remplace l’appartenance aux classes sociales. Une formation politique seule ne peut plus prétendre à conquérir le pouvoir et gouverner sur la base d’un programme soutenu par la majorité de l’électorat.

Même au Royaume-Uni, le recours à une coalition s’est imposé pour obtenir la majorité au sein de la Chambre des communes. Et plusieurs mois après des élections aux résultats peu concluants, la Belgique et les Pays-Bas ne sont toujours pas parvenus à constituer un gouvernement.

Le système électoral européen, inspiré de la philosophie traditionnelle du XIXe siècle selon laquelle chaque parti peut obtenir une part des sièges parlementaires, empêche désormais l’émergence d’un leadership cohérent en Europe. Chaque mouvement ou groupe peut créer son propre parti pour maintenir sa pureté électorale. La politique de la Gemeinschaft (communauté) remplace celle de la Gesellschaft (société). Une communauté de citoyens réunis autour d’une foi partagée dans l’idée que les immigrés, l’énergie nucléaire, l’Union européenne, les musulmans, les juifs, l’économie de marché ou encore les Etats-Unis sont la source exclusive des maux de la nation, peut décider de se rassembler pour créer un groupe politique. Le cri de rassemblement de la nouvelle politique identitaire consiste à rejeter et à dire non. Or un système politique fondé sur le concept de société exige le compromis et la hiérarchisation des objectifs. «Gouverner, c’est choisir», tel est l’adage qui a longtemps régi la politique sociétale.

La Suède doit maintenant s’accommoder d’un parti nationaliste identitaire sordide, les Démocrates suédois, qui comporte vingt membres élus au Riksdag. En dépit de leur joli nom, les Démocrates suédois sont anti-immigration, anti-musulmans et revendiquent des solutions autoritaires pour résoudre la crise sociale que traverse le pays. Le chômage suédois touche 9% de la population active après quatre ans de coalition du centre droit menée par Fredrik Reinfeldt. Mais un fort taux de chômage n’induit pas nécessairement un virage à gauche. En témoigne la défaite des sociaux-démocrates suédois, la plus grande depuis un siècle. L’alliance avec les Verts et l’aile politique gauche, tout comme le programme plaidant pour une hausse des impôts et des dépenses publiques, ont été rejetés par les électeurs.

Les élections récemment tenues dans des pays aux systèmes électoraux non majoritaires (essentiellement des variations des systèmes de représentation proportionnelle) ont conforté la montée de partis nationalistes, identitaires, xénophobes et parfois antisémites au sein des parlements nationaux en Europe. A l’Est, la droite nationaliste cherche à minimiser l’impact de l’Holocauste en comparant les crimes du communisme à l’extermination systématique et organisée des Juifs dans les camps de la mort en Pologne.

Il n’est plus possible de minimiser le vote en faveur de l’extrême droite en Europe en le confinant à un phénomène marginal observé uniquement dans certains pays. Le plus grand ensemble démocratique du monde forme désormais le terreau des extrémistes. 11,9% en France (Front national); 8,3% en Italie (Ligue du Nord); 15,5% aux Pays-Bas (Parti néerlandais de la liberté de Geert Wilders); 28,9% en Suisse (Union démocratique du centre); 16,7% en Hongrie (Jobbik); 7,7% en Belgique (Vlaams Belang); 6,9% en Lettonie (Parti pour la patrie et la liberté, allié aux conservateurs britanniques); 17,5% en Autriche (Parti de la liberté); 22,9% en Norvège (Parti du progrès); 5,7% en Slovaquie (Parti national slovaque); 5,4% en Slovénie (Parti national slovène).

Ces formes politiques nouvelles n’évoluent pas dans une sphère totalement isolée et ne sont plus mises en quarantaine. En France, Nicolas Sarkozy a adopté un langage et un arsenal de mesures visant spécifiquement les minorités roms, qui ont conduit le Financial Times à comparer le président français à Silvio Berlusconi. Même le gouvernement de coalition britannique, qui n’est ni raciste ni extrémiste, a décidé de plafonner de manière sauvage le nombre d’étrangers autorisés à travailler au Royaume-Uni. En dépit des réticences des employeurs qui se disent inquiets face à cette tendance protectionniste lourde, David Cameron doit procurer la viande rouge du discours xénophobe et anti-immigration aux électeurs qui ont l’année dernière envoyé deux membres du BNP (British National Party) siéger au Parlement européen.

Le contexte se prête à ces dérives. L’économie européenne est faible et on recense 23 millions de chômeurs. Le narcissisme et la propension aux luttes internes qui caractérisent la classe gouvernante de Bruxelles n’invitent pas au respect ou à l’admiration. Les nationalistes catalans, flamands ou écossais rejettent l’idée de rester dans une communauté de destin avec l’Espagne, la Belgique ou le Royaume-Uni. Ce sont ces électeurs qui s’intéressent désormais aux idées de communauté et d’identité plus qu’à celles de société, de classe ou de nation, qui semblent dessiner les contours de la nouvelle donne politique en Europe. Personne ne sait où celle-ci peut conduire.

Denis MacShane, député travailliste à la Chambre des communes britannique et ancien ministre des Affaires européennes. Traduction: Axelle Lemaire.