L'eau citoyenne

Voici un an que plus de 100 ONG rassemblées dans le mouvement "Effet Papillon, du local à l'international" préparent le forum mondial de l'eau, qui se tiendra du 12 au 17 mars à Marseille. Comme les autres acteurs du secteur, ministères, opérateurs privés, collectivités locales, chercheurs, agences internationales, etc., nous avons croisé nos expériences, identifié des pratiques qui marchent, proposé des mécanismes innovants : nous avons joué le jeu d'un forum des solutions, d'un forum ouvert à toutes les expertises, d'un forum où chacun doit s'engager.

Nous venons à Marseille avec une exigence forte : l'eau doit devenir une ressource partagée équitablement entre tous les hommes sur la planète. Concrètement, cela veut dire quoi ?
D'abord que tout citoyen a un droit à l'eau, reconnu par les Nations unies depuis juillet 2010, mais que trop peu d'Etats ont encore eu le courage d'appliquer au plan national. L'accès à l'eau et à l'assainissement pour tous passe d'abord par la loi, qui fera que chacun pourra exiger une desserte minimale assurant ses besoins essentiels.

Cela veut dire aussi que la société civile d'un même pays, les riverains d'un même bassin versant, les usagers d'un même service public de distribution d'eau ou d'assainissement doivent être non seulement consultés mais associés aux décisions majeures qui les concernent : planification des investissements, gestion des ouvrages, tarification, contrôle et régulation du système, affectation des ressources issues du service, sur tous ces sujets les citoyens ont des choses à dire et à faire. Des espaces de concertation existent déjà ici ou là dans le monde, au niveau national, régional ou local : retenons ceux qui produisent les meilleurs résultats et adaptons les à chaque contexte. Actons en tout cas ceci : aucune planification nationale, aucune agence de bassin, aucun service local de l'eau ne peut fonctionner équitablement et durablement sans la prise en compte des droits et devoirs du citoyen.

Car celui-ci, qu'il soit simple usager, chef d'entreprise ou responsable politique, a au moins deux devoirs. Le premier est de respecter une ressource en eau limitée et fragile. Gaspillage, surconsommation, pollutions, cette ressource tellement essentielle n'a pas les attentions qu'elle mérite. Chaque habitant des Etats-Unis a-t-il vraiment besoin de 600 litres d'eau par jour ? Des managers ou politiques ont-il le droit de sacrifier autant d'eau sur l'autel des gaz de schistes ? La mer, les lacs et les fleuves sont-ils condamnés à recevoir tous nos déchets, à garder ainsi la trace de notre irresponsabilité collective ? Il revient à chaque citoyen de modifier son comportement, à chaque citoyen électeur d'influencer les politiques par son vote.

Le second est un devoir de solidarité. Solidarité locale : la mise en place de mécanismes de péréquation entre usagers démunis et plus favorisés d'un même service d'eau n'est pas négociable ; elle seule peut garantir l'accès à l'eau pour tous, sans conditions de ressource. Solidarité nationale : les contextes et contraintes de ressource et de desserte varient d'une région à l'autre dans un même pays ; sans mutualisation des moyens et harmonisation des tarifs, la fracture entre usagers ruraux et urbains, l'impact des aléas pluviométriques, la désertification, les inégalités sociales n'iront qu'en s'accentuant, surtout dans les pays en développement. Solidarité internationale enfin. Aide publique au développement, taxation des transactions financières, budgets multilatéraux tels les Facilité Eau européenne et africaine, les mécanismes existent qui peuvent accroître le financement du secteur.

Par ailleurs, qui peut sérieusement contester la pertinence d'un mécanisme de prélèvement indolore sur la facture d'eau des usagers dans les pays riches (de 1 à 3 euros par an et par foyer) qui permet d'assurer un accès minimal à l'eau et à l'assainissement pour des centaines de milliers d'habitants chaque année dans les pays en développement ? Dans plusieurs pays européens, en France en particulier, des textes facilitent cette mobilisation de financements décentralisés et font aussi bien plus : ils accroissent les échanges de compétences entre élus et services techniques et sensibilisent les citoyens au nécessaire partage solidaire d'une même ressource indispensable à tous.

Une eau citoyenne, c'est enfin une eau protégée d'appétits dangereux et insatiables. Celui des Etats qui s'approprient une ressource en faisant fi de leur voisin en aval : la concertation et l'entente doivent devenir la règle, la seule alternative étant la prolifération de conflits d'usages, voire de guerres de l'eau. L'appétit du business, aussi. Non, l'eau ne peut pas être une marchandise livrée aux jeux du marché libéral et à ses dérives bien connues : la spéculation sur la ressource, la maximisation des profits au profit de quelques-uns et au détriment du plus grand nombre, la corruption dans la passation des marchés, les paradis fiscaux où s'entassent les revenus de l'eau alors que leur fonction devrait être de financer le développement économique, social, humain sur la planète. Il est de notre rôle, nous ONG, d'exiger des acteurs publics et privés qu'ils contrôlent et régulent l'économie de l'eau. Sinon il est illusoire de parler d'accès à l'eau de toute la population mondiale.

Nous, ONG du monde entier, sommes convaincus qu'une bonne gouvernance du secteur de l'eau et de l'assainissement est basée sur les droits humains, et intègre une participation effective de la société civile. Nous avons évidemment salué la reconnaissance du Droit de l'homme à l'eau et à l'assainissement par les Nations unies, et tout l'enjeu est maintenant sa mise en œuvre. Nous appelons tous les acteurs à soutenir les Etats dans l'application de ce droit au niveau national, au bénéfice de l'ensemble de leur population. Ces derniers doivent alors adopter les instruments législatifs nécessaires et reconnaître les connaissances locales et la gestion communautaire comme une solution effective pour sa mise en œuvre.

Enfin, nous savons que les citoyens sont prêts à mieux partager leurs ressources, à commencer par l'eau : quoi de plus essentiel pour chaque humain, quoi de plus emblématique pour une équité planétaire ? Nous savons aussi que les citoyens sont des gens responsables : ils sont conscients que leur avenir et celui de l'eau sont intimement liés . Nous savons enfin qu'ils sont parfaitement compétents pour décider en concertation avec les autres acteurs publics et privés. Ces derniers, et c'est là notre seule préoccupation, sont-ils prêts a partager leur connaissance et leur pouvoir sur l'eau ?

Par Laurent Chabert d'Hières, pour Effet Papillon, mouvement international d'ONG engagées dans le secteur de l'eau.

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