L’eau, enjeu stratégique en Iran

La Journée mondiale de l’eau, le 22 mars, attire l’attention sur l’Iran, confronté à une situation de stress hydrique devenue pour le gouvernement une priorité aussi stratégique que l’accès au nucléaire civil.

Le président Rohani, à peine élu, faisait état, en octobre 2013, du besoin impérieux de mettre en place un plan national de réduction drastique de la consommation d’eau et de lutte contre le pompage des nappes par les forages individuels. Estimés à une centaine de milliers à travers le pays, ceux-ci exercent sur les eaux souterraines une pression intenable.

Issa Kalantari, ancien ministre de l’agriculture du président Rafsandjani et proche conseiller de l’actuel président, a récemment affirmé que la principale menace pour la sécurité nationale n’est pas Israël, mais le manque d’eau… Un rapport publié en mars 2012 par le Water Research Programme du Center for Middle Eastern Strategic Studies d’Ankara estime qu’une ville comme Téhéran, avec ses 9 millions d’habitants, devra rapidement établir un rationnement de la distribution d’eau.

Cette situation critique est d’abord le résultat du développement urbain non contrôlé et de l’explosion démographique : en 35 ans, la population urbaine a augmenté de 30 millions de personnes, et la population rurale de 9,5 millions. A l’augmentation de la consommation domestique s’est ajoutée la gestion inefficiente des réseaux urbains de distribution d’eau : les taux de fuite sont estimés à 30 %, sans doute en dessous de la réalité.

Ensuite, l’agriculture, qui n’a pas connu de modernisation des pratiques d’irrigation, représente toujours un peu plus de 90 % de la consommation annuelle en eau. Enfin, des années de sanctions économiques ont empêché la fourniture d’équipements modernes, et le manque d’investissement dans les infrastructures a dégradé un peu plus la qualité et les quantités disponibles.

Ressources complémentaires

L’Iran va donc devoir mobiliser de grands moyens humains et financiers pour répondre à ces défis. Un marché potentiel très important s’ouvrira aux entreprises mondiales spécialisées si les relations de Téhéran avec la communauté internationale se normalisent, à la faveur d’un accord sur le nucléaire civil ou de l’émergence d’un nouvel ordre régional élevant l’Iran au rôle de rempart face l’extrémisme radical de l’Etat islamique.

L’Iran doit toutefois chercher d’abord à se doter de ressources complémentaires. Sur le modèle de son grand allié, la Chine, l’Iran a commencé d’importants travaux de transfert d’eau du bassin de la mer Caspienne vers les régions arides du centre du pays. Ce projet de 1,5 milliard de dollars (1,4 milliard d’euros), lancé en avril 2012, renforcera les capacités de transfert existantes, qui importent déjà 2,11 milliards de m3/an d’eau douce des bassins de la mer Caspienne et du golfe Persique. Les Iraniens entendent également dessaler l’eau de la mer Caspienne et la transporter, via un pipeline de plus de 500 km, jusqu’à la zone désertique du Central Kavir.

Mais l’Iran devra aussi agir sur la demande, à travers des solutions semblables à celles mises en œuvre au début des années 2000 par son grand voisin et rival, l’Arabie saoudite. Remettre rapidement à niveau les infrastructures de grandes villes nécessite un savoir-faire particulier, dont seules des sociétés françaises semblent pour l’heure disposer.

C’est pourquoi le Royaume avait alors fait appel aux ingénieurs et techniciens de groupes français comme Veolia Environnement à Riyad, Suez Environnement à Djeddah, la SAUR à Taïf et à La Mecque. En période de Hadj, le grand pélerinage annuel à La Mecque, 5 millions d’équivalent-habitants sont ainsi desservis par un savoir-faire français.

L’Iran pourrait devenir une terre d’opportunités pour les opérateurs français, dans un marché de 70 millions de personnes où tout est à construire. Mais il faudra se montrer patient et faire preuve d’intelligence de la situation pour conquérir ce marché. Le contexte international et régional rend encore difficile le dialogue économique avec Téhéran. Et les concurrents chinois et américains ne manqueront pas de se manifester. Iran et Chine ont en effet développé une continuité stratégique depuis l’époque du Shah, qui ne s’est pas interrompue avec la Révolution iranienne. Les Etats-Unis progressent de leur côté inexorablement vers une alliance régionale avec un pays que la Maison Blanche jugeait infréquentable il y a peu.

Franck Galland , Fondation pour la Recherche Stratégique. Il dirige (ES) ², cabinet d’ingénierie-conseil spécialisé en résilience. Il est l’auteur de Le Grand Jeu. Chroniques géopolitiques de l’eau (CNRS Editions, 2014).

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